Auteur: Joanna Trollope
Titre Original: Les femmes de ses fils
Date de Parution : 16 octobre 2014
Nombre de pages : 240
Prix : 7,70€
Quatrième de couverture : Rachel s’est
toujours consacrée avec énergie et dévouement à ses trois fils, Edward, Ralph
et Luke. Ils sont maintenant adultes et mariés, mais elle régente encore leur
vie et essaie de les réunir à la moindre occasion. Unité qui se fissure
lorsqu’une crise éclate dans le mariage de Ralph. Tous les membres de la
famille sont amenés à s’interroger sur les liens qui les unissent. Les
belles-filles veulent consolider leur propre couple et définir les relations
familiales à leur manière. Rachel réagit vivement à ce transfert de pouvoir
pourtant inévitable. Elle devra se résigner à de profonds changements pour se
réconcilier avec les femmes de ses fils.
Extrait
Depuis le banc du premier rang, aucun obstacle ne
barrait la vue d'Anthony sur le dos de la jeune femme qui, dans quelques
instants, allait devenir sa troisième belle-fille. L'allée de l'église était
très large, avec un espace tapissé au pied des marches plates du choeur, où
quatre petites demoiselles d'honneur écoutaient le discours, s'étaient laissées
choir au milieu du nid de soie rose de leurs jupes, de sorte que rien ne
s'interposait entre Anthony et le couple des futurs époux.
Anthony trouvait à la mariée, drapée de satin ivoire
près du corps, l'allure séduisante d'une sirène échouée à terre. Sa robe était
moulante - très moulante -, des aisselles aux genoux, avant de s'évaser en plis
flous, augmentée d'une petite traîne fluide négligemment étalée derrière elle,
jusqu'en bas des marches du choeur. Le regard d'Anthony glissa lentement du
sommet de la tête voilée de gaze, des cheveux clairs et coupés ras, parsemés de
fleurs, jusqu'aux pieds invisibles, avant de remonter se poser sur les courbes
de la taille et des hanches, d'une incontestable générosité. La silhouette est
superbe, songea-t-il, même si pareille pensée était assez malvenue, pour un
quasi-beau-père. Superbe.
Il ravala sa salive, et son regard vint se poser sur
son fils, avec plus d'austérité. Luke irradiait cette fierté masculine brute et
possessive qui instillait une petite note de tension au milieu de la cérémonie
du mariage, et il s'était à demi tourné vers sa future moitié. Cinq minutes
auparavant, on avait assisté à un moment touchant, quand la mère de Charlotte,
qui était veuve, avait tendu la main vers le voile de sa fille pour le relever,
et elles s'étaient toutes deux regardées quelques secondes, avec une expression
de connivence d'une telle intensité qu'elle en excluait toutes les autres
personnes présentes autour d'elles. Anthony baissa les yeux sur Rachel, à ses
côtés, en se demandant, comme souvent depuis ces décennies de vie commune, si
le calme de son épouse ne masquait pas une langueur instinctive qu'elle
n'exprimerait jamais, et alors qu'elle cédait son troisième fils à une autre
femme, comment se manifesterait, au cours des mois et des années à venir, sa
réaction primitive, inévitable, comme des bouffées de vapeur brûlante
s'échappant par les fissures de la croûte terrestre. - Ça va ? fit-il à voix
basse.
Rachel ne s'en rendit pas compte. Il ne savait même
pas si elle regardait vraiment Charlotte, ou si elle restait concentrée sur
Luke, admirant sa carrure, l'éclat de sa peau et se demandant, en son for
intérieur, si Charlotte avait conscience, vraiment conscience de la chance
extravagante qui était la sienne. Au lieu d'un chapeau conventionnel, Rachel
s'était piqué dans les cheveux une sorte de déflagration de plumes vertes,
toutes regroupées d'un côté, et, aux yeux d'Anthony, le frémissement de ces
plumes, telles des libellules montées sur fil de fer, constituait la seule
indication qu'au fond d'elle-même, Rachel n'était pas aussi imperturbable
qu'elle en donnait l'apparence. Bon, se dit-il, incapable de s'attirer sa
complicité, si elle est tant absorbée par Luke, je vais me remettre à
contempler le derrière de Charlotte. Je ne serai pas le seul. Tous les
messieurs de l'église qui jouissent de la même vue m'imiteront. Prétendre le
contraire, ce serait jouer les bégueules.
Le prêtre, un homme jovial, avec son étole brodée de
motifs d'une modernité agressive, prononçait une petite homélie inspirée d'un
vers de Robert Browning, reprise dans le livre de messe.