Auteur: Laurent Graff
Titre Original: Grand absent
Date de Parution : 8 janvier 2014
Éditeur : Le Dilettante
Nombre de pages : 128
Prix : 13,00€ 12.35€
Quatrième de couverture : Une après-midi qu'il avait quartier libre et
l'âme joueuse, Dieu inventa le parking. Il vit que cela était drôle et conçut,
dans la foulée, le véhicule automobile, cette variante ulcérée et statique de
l'humain qu'est l'automobiliste, la place de parking en nombre limité, la
barrière de contrôle métallique et, fin du fin, le ticket de parking : clé de
la liberté tarifée et sésame-on-décampe de l'homo automobilis. Manquait encore
une cerise à ce gâteau de béton en sous-sol : le poète. Dieu alors prit son
élan et créa Laurent Graff, l'aède des vertiges ontologiques. Tu seras le Franz
Kafka de l'horodateur, lui dit Dieu. Graff dit oui. Dieu a eu raison, car seul
l'auteur de Il ne vous reste qu'une photo à prendre, petit traité d'Apocalypse
rétinien, ou du Cri, récit des ultimes dérades d'un péagiste d'autoroute parti
randonner, la toile de Munch sous le bras, au sein d'un monde tué par une
fréquence fatale, pouvait circonscrire ce Grand Absent, chef-d'oeuvre du
cauchemar automatisé. Le lecteur y devient l'otage de ce roman où le monde
s'est fait lieu utilitaire ou procédure régulée : on y vient, on y acquitte, on
horodate, on en part. Un silence de nécropole baigne l'endroit à peine fêlé par
le chuintement d'un petit robot dépanneur. Imaginez un scénario de Tati filmé
par un Cronenberg dépressif et vous aurez l'épure de cette fiction noire, bien
noire, rhapsodie glaçante pour monde en panne. Dieu serait notre Grand Absent
et Graff, son prophète.
Extrait
Le parking est plein, complet, toutes les places sont prises, sur les
trois niveaux. Pareil dans les autres terminaux de l'aéroport. C'est comme si
les gens étaient partis et ne revenaient pas. A moins qu'ils ne délaissent leur
véhicule et l'abandonnent ; ils rentrent à pied ou ils prennent un taxi. On a
barré l'accès, indiquant avec des panneaux que le parking était fermé. Les
barrières restent baissées; on ne sort pas, on n'entre plus.
En temps normal, le flux des entrées et des sorties s'équilibre, avec un
taux d'occupation moyen de soixante-cinq pour cent. On distingue les
stationnements de courte durée, en général moins de deux heures, le temps
d'accompagner ou d'aller chercher des passagers, des stationnements de longue
durée. Il existe des formules tarifaires à la journée, à la semaine ou au mois.
On a vu des véhicules rester un an. La poussière les recouvre peu à peu. On les
reconnaît à leur peinture ternie, leur teint mat. Ils prennent la couleur du
sol. Et puis, un jour, ils s'en vont, on vient les chercher. La place qu'ils
occupaient est étrangement libre.
Parfois, on les enlève. Une dépanneuse les remorque et les emmène.
A l'entrée du parking, on prend un ticket au distributeur, à conserver,
qui servira pour le paiement aux caisses automatiques à la sortie. La perte du
ticket est problématique et n'est pas souhaitable. Quitter le parking devient
alors difficile. Il faut être patient. Ça peut prendre plusieurs heures, voire
davantage. Non, vraiment, c'est à éviter.
Une borne de dialogue a été installée près des caisses automatiques. En
cas de perte du ticket, on le déclare dans la fenêtre «incidents». Normalement,
aucun incident ne doit survenir. Tout a été prévu pour le bon fonctionnement du
parking. Une signalétique simple et compréhensible a été mise en place sur
l'ensemble du site. Des codes de couleurs élémentaires ont été instaurés et
déclinés sur les trois niveaux. Aucune erreur n'est possible.
Sélectionner «ticket perdu». Patienter. Le temps d'attente entre chaque
étape est voulu, c'est une forme de punition dissimulée. Indiquer le numéro de
la place de stationnement du véhicule. Il faut le connaître, l'avoir noté.
Sinon, retourner auprès du véhicule et relever le numéro inscrit au sol devant
la place de parking. Niveau 1 (couleur jaune), de 1 à 650; niveau 2 (couleur
rouge), de 1 à 650 ; niveau 3 (couleur bleue), de 1 à 500. Les terminaux
portent des lettres, A, B, C et D. Il faut le savoir, l'avoir noté. La
désignation d'une place de parking doit comporter toutes les informations
nécessaires à sa localisation, l'approximation n'a pas cours. Respecter l'ordre
d'énoncé. Exemple : terminal B, niveau 2, n° 157. Un petit robot est envoyé sur
les lieux.