Titre Original: La Cravate
Date de Parution : 6 novembre 2014
ISBN: 978-2757845288
Nombre de pages : 172
Prix : 6,30 €
Quatrième de couverture : Taguchi Hiro,
20 ans, est un hikikomori. Au Japon, c'est ainsi que l'on appelle les gens qui
vivent cloîtrés chez eux, incapables de faire face à la pression de la société.
Un jour pourtant, Hiro trouve la force de sortir. Dans le parc où il s'est
réfugié, il rencontre Ohara Tetsu, qui y passe ses journées, incapable d'avouer
à sa femme qu'il a perdu son travail. Bien plus qu'un banc, ces deux oubliés de
la société partagent leur histoire et leurs craintes, et peu à peu, se
redonnent la force.
Extrait
1
Je l'appelais Cravate.
Le nom lui plaisait. Il le faisait rire.
Des bandes rouges et grises sur sa poitrine. C'est
ainsi que je veux le garder dans mon souvenir.
2
Sept semaines se sont écoulées depuis que je l'ai vu
pour la dernière fois. Au cours de ces sept semaines l'herbe a séché et jauni.
Les cigales chantent dans les arbres. Le gravier crisse sous mes pieds. À la
lumière intense du soleil de midi, le parc semble étrangement dépeuplé. Des
fleurs éclatent aux branches lasses qui se penchent vers le sol. Un mouchoir
bleu pâle dans le fourré, pas le moindre souffle de vent pour l'agiter. L'air
est lourd et pèse sur la terre. Je suis dans un étau. Je prends congé d'une
personne qui ne reviendra plus. Je le sais depuis hier. Il ne reviendra plus.
Au-dessus de moi s'étend un ciel qui l'a absorbé - pour toujours ?
Je ne peux pas croire encore que nos adieux soient
définitifs. Dans l'idée que je m'en fais il pourrait surgir à n'importe quel
moment, peut-être sous une autre identité, peut-être avec un autre visage, et
me lancer un regard qui dirait : Je suis là. Tête vers le nord, suivre les
nuages d'un sourire. Il pourrait. Voilà pourquoi je suis assis ici.
3
C'est sur notre banc que je suis assis. Avant de
devenir le nôtre, il avait été le mien.
C'est ici que je vins m'assurer que la fissure dans le
mur, cette craquelure fine comme un cheveu, en biais au-dessus des étagères,
valait à l'intérieur comme à l'extérieur. J'avais passé deux années entières à
la regarder fixement. Deux années entières dans ma chambre, dans la maison de
mes parents. J'avais redessiné sa ligne brisée derrière mes paupières closes.
Elle avait été dans ma tête, s'y était prolongée, m'était entrée dans le coeur
et dans les veines. Moi-même, un trait exsangue. Ma peau cadavérique, faute de
soleil pour l'éclairer. Parfois je pensais avec nostalgie à ses rayons, à leur
contact. J'imaginais comment ce serait de sortir et de comprendre enfin : il
est des espaces que l'on ne quitte jamais.
Par une froide matinée de février je cédai à ce désir
empreint de nostalgie. Par la fente des rideaux je distinguai un vol de
corneilles. Elles montaient et descendaient, sur leurs ailes le soleil, il
m'aveuglait. Une douleur perçante dans les yeux, je remontai les murs de ma chambre
à tâtons jusqu'à la porte, je l'ouvris d'un coup, je passai mon manteau et mes
chaussures, trop petites d'une pointure, je sortis dans la rue et je continuai
en longeant les rues et les places. En dépit du froid la sueur me coulait sur
le front et j'en ressentais une singulière satisfaction : j'en suis encore
capable. Je suis capable de poser un pied devant l'autre. Je ne l'ai pas
désappris. Tous mes efforts pour le désapprendre ont été vains.
Je ne tentai pas de me faire des illusions. Hier comme
aujourd'hui, mon but était d'être seul avec moi-même. Je ne voulais rencontrer
personne. Rencontrer quelqu'un, c'est s'impliquer. On noue un fil invisible.
D'humain à humain. Une foule de fils. Dans tous les sens. Rencontrer quelqu'un,
c'est devenir une partie de son tissu, et c'est cela qu'il fallait éviter