Titre Original: Trente-Six Chandelles
Date de Parution : 20 août 2014
Prix : 20,00€
Quatrième de couverture : Allongé dans son
lit en costume de deuil, ce 15 février, à l'heure de son anniversaire, Mortimer
Décime attend sagement la mort car, depuis son arrière-grand-père, tous les
hommes de sa famille sont décédés à onze heures du matin, le jour de leurs 36
ans.
La poisse serait-elle héréditaire, comme les oreilles décollées ? Y
a-t-il un gène de la scoumoune ? Un chromosome du manque de pot ?
Que faire de sa vie, quand le chemin semble tout tracé à cause d'une
malédiction familiale ? Entre la saga tragique et hilarante des Décime,
quelques personnages singuliers et attendrissants, une crêperie ambulante et
une fille qui pleure sur un banc, on suit un Mortimer finalement résigné au
pire.
Mais qui sait si le Destin et l'Amour, qui n'en sont pas à une blague
près, en ont réellement terminé avec lui ? Dans son nouveau roman, Marie-Sabine
Roger fait preuve, comme toujours, de fantaisie et d'humour, et nous donne une
belle leçon d'humanité.
Extrait
Je m'étais levé plus tôt que d'habitude. Six heures du matin. La journée
était importante, et je savais déjà que je n'irais pas jusqu'au bout.
Je suis allé chercher des croissants à la boulangerie, je me suis fait
un café. J'ai regardé mes albums de photos. J'ai repassé un petit coup de
chiffon inutile sur ma cuisinière impeccable, j'ai essayé de regarder un film,
de lire, sans succès. J'ai consulté deux cents fois la pendule. C'est curieux
comme le temps semble se ralentir, à l'approche d'un rendez-vous. Les heures
deviennent visqueuses, s'étirent en minutes élastiques et gluantes comme un
long fil de bave sous la gueule d'un chien. J'attendais ce moment final depuis
tellement longtemps. Je n'irai pas jusqu'à dire que je m'en faisais une fête,
mais j'étais curieux de savoir ce qui allait se passer. J'étais simplement
contrarié que ça se passe ici. Au cours des dernières années, j'avais échafaudé
mille projets insolites ou grandioses : tirer ma révérence au fin fond de la
Chine, dans une fumerie d'opium ; chez les Aborigènes, au son mélancolique d'un
vieux didgeridoo. Sur les pentes d'un volcan. Dans les bras de Jasmine, en
plein coeur de Manhattan. Je n'avais rien fait de tout ça, évidemment. En bon
procrastinateur que je suis, j'avais perdu mon temps à remettre au lendemain le
choix de ma destination finale. Résultat, je n'avais pris aucune décision, et
je mourrais chez moi, comme n'importe qui. Cette ultime matinée était très
décevante, il me tardait d'en voir la fin.
Cinquante minutes avant l'heure prévue, comme je tournais en rond et que
je commençais à m'enquiquiner ferme, je me suis allongé sur mon canapé-lit pour
me détendre un peu, dans cette fameuse posture dite «du cadavre», bien connue
des défunts et de ceux qui pratiquent plus ou moins le yoga, ce qui était mon
cas depuis trois semaines. Paumes de mains tournées vers le ciel, jambes
légèrement écartées, pointes de pieds tombant négligemment vers l'extérieur,
diaphragme détendu, le souffle lent et calme, les yeux rivés sur cette saloperie
de pendule accrochée sur la hotte, juste en face de mon lit, qui n'en finissait
pas de grignoter mes secondes restantes avec la discrétion d'une vieille dame
dont le dentier résiste à un quignon de pain.
Il était déjà 10 h 12.
À10 h 13, on a toqué fermement à la porte, qui s'est ouverte dans la
foulée, puis refermée aussitôt en claquant. Voilà, je me disais bien que
j'avais oublié quelque chose : je n'avais pas pensé à mettre le verrou.
- Encore au pieu, gros paresseux ? ! a jeté Paquita en traversant le
studio d'un pas vif, telle une antilope dodue qui trottinerait vers le point
d'eau sur des talons de douze centimètres.
Elle a jeté au vol sa fourrure synthétique sur le coin de mon lit, puis
est allée derrière le bar qui sépare le coin cuisine du coin
séjour-chambre-bureau. Paquita est partout chez elle, encore plus lorsqu'elle
est chez moi. Elle fait partie de ces gens à géométrie variable qui occupent
aussitôt tout l'espace d'une pièce, quelle qu'en soit la superficie.
(...)