J’avais un projet un peu fou, nous faire
découvrir à nous lecteurs des nouvelles inédites. Après quelques échanges de
mails, j’ai vue mon rêve se réaliser. C’est ainsi que plusieurs auteurs ont
répondu présent.
La nouvelle intitulée Le diable mesure huit centimètres que
vous découvrez aujourd’hui a été écrite par Marie Charrel son dernier roman L’enfant tombée des rêves est publié chez Plon
Journaliste au Monde, Marie Charrel, 30
ans, a grandi à Annecy et Grenoble.
Auteur de "Une fois ne compte
pas" (Plon 2010 et Pocket 2011), un premier roman remarqué, coup de cœur
Fnac et des magasins Cultura, elle confirme avec "L’Enfant tombée desrêves" (Plon, 2014) son talent à explorer l’âme humaine dans ce qu’elle a
de plus insaisissable et fantaisiste.
Le
diable mesure huit centimètres
J’ai rencontré le
diable, il mesure huit centimètres. Il a de petits yeux ronds pervers et
sadiques, un nez de sale petite fouine malsaine, une queue d'une longueur
indécente. Vous savez de quoi je parle, n'est-ce pas. D'un rongeur. J'imagine
que vous en voyez des choses étranges, dans votre métier. Ne dites rien, c’est
certain ! Personne ne soupçonne la vie qui se tient-là, sous Paris,
grouillante, infinie. Il paraît qu’il y a plus de rats sous les pavés que
d’habitants dans la capitale, vous confirmez ? Vous n’en savez rien, vous
ne les avez pas comptés. Ah.
On dit que vous êtes
le meilleur, dans votre catégorie. Quand je vois les spécimens que vous avez
empaillés là, je n’en doute pas. Vous les avez attrapés dans le coin ? Oui, dans
la Seine ? Car en plus, ils nagent ! Celui-là ressemble à un castor
géant. Et celui-ci, à un ragondin. Répugnant.
Bon. Quand vous allez
entendre ma demande, vous allez rire. Du moins, au début. Voilà : j’ai un
problème de souris. Non, pas de « souris » au pluriel, de « souris »
au singulier. Oui, je suis sérieuse, j’ai un problème avec une seule et unique
petite souris, une saloperie de Mickey Mouse qui me pourrit la vie depuis des
semaines. N’affichez pas ce sourire condescendant, s’il vous plaît. Je ne suis
pas une de ces greluches qui poussent des cris effarouchés à la moindre proximité
animale. J’ai grandi à la campagne, moi. J’ai massacré à coups de savate des
dizaines mulots dans la grange de ma grand-mère, j’ai élevé des bébés serpents
et joué avec des oiseaux morts pendant toute mon enfance. Oui monsieur. Des
serpents et des oiseaux morts. Si une araignée a le malheur de s'aventurer dans
ma baignoire, je l'extermine sans vergogne, aussi énorme soit-elle.
Mais cette souris-là
n’est pas comme les autres. Elle n’a rien de normal. Les rongeurs sont
intelligents, vous le savez. Eh bien celle-ci doit avoir un QI dix ou vingt
fois plus élevé que celui d’une souris classique. Elle est redoutablement
maligne. Perverse, même. Une sournoise de la pire espèce qui soit. En plus,
elle est kleptomane. Oui monsieur, une souris kleptomane. Pire qu’une pie. Vous
ne me croyez pas ?
Tenez, je vais vous
raconter. Commençons par le début. Ce ne sera pas long. Je vis à Paris depuis
cinq ans. J’habite un petit appartement dans un grand immeuble Porte Dorée.
Vous voyez le genre : barre grisâtre des années 1960 pas très belle mais
fonctionnelle, ascenseur aux couleurs pop, conduits de poubelles à tous les
étages. Vous devez bien les connaître, ces satanés tuyaux, condamnés à l’usage
depuis dix ou quinze ans mais toujours infestés de blattes, mites et autres
cancrelats qui les considèrent comme un ascenseur personnel les menant droit à
nos logements. Oui, j’habite l’un de ces immeubles-là, soumis aux invasions
régulières de cafards et avec elles, aux traitements chimiques annuels de tous
les appartements. Un cauchemar.
Cet immeuble est une
calamité point de vue insecte, mais il n'y a jamais eu de souris. Jamais. De
plus, j’habite au septième étage. En général, ces saloperies de bestioles ne
montent jamais jusque-là, elles préfèrent les sous-sols ou les greniers. Vous
voyez donc qu'il s'agit d'un cas tout à fait atypique.
Un vendredi soir,
l’un de mes amis, Théo, m’invita avec la bande à fêter son anniversaire dans un
restaurant marocain. Théo adore le couscous. C’était l’une de ces brasseries bobos
du Marais, avec une magnifique salle en sous-sol : murs en pierre,
plafonds voûtés, tout le tralala. Manger dans un tel endroit est drôlement
branché. Il paraît qu’on y organise souvent des soirées médiévales. Je ne vois
pas le rapport avec le couscous, mais passons.
Au moment de
l’apéritif, il me sembla apercevoir quelque chose gigoter furtivement sur le
mur. Je l’examinai un moment : pierres de taille, quelques tableaux représentant
le désert, un peu de poussière, rien d’autre. J’avalai une gorgée de Boulaouane
et me concentrai sur la coupelle d’olives quand soudain, cela remua encore. Quelque chose serpentait entre les
pierres. A peine eus-je reporté mon attention sur les amuse-gueules que la
chose s’agita encore : c’était de la provocation. Mais cette fois, je
n’étais pas la seule à l’avoir vue. « Une souris ! » hurla
Sylvie, à ma droite, qui a toujours eu la vue plus fine que moi. Elle avait
identifié l'animal. « Elle se balade sur le mur, c’est
horrible ! »
C’est alors que la
bestiole, pas farouche, sauta au sol et se mit à zigzaguer entre les pieds de
la table, sautillant de droite à gauche, tirant des petits cris de panique à
tous les convives. Puis soudain, l’excitation de l’animal retomba. Le plus
calmement du monde, elle rejoignit le milieu de la salle et se retourna vers
nous avec défi. Elle me regardait. Je vous jure, cette satanée souris me fixait
avec ses yeux perçants. Quelque chose se passait dans son minuscule cerveau et
je le sentais. Elle avait flashé sur moi. Oui, elle me voulait. Bien sûr, rien
ne vous oblige à me croire, mais je vous assure : je pouvais lire dans ses
pupilles aux reflets lubriques qu'elle me désirait. Cela me glaça littéralement
le sang.
Elle reprit alors sa
course folle sous la table. Sylvie, qui elle, ne supporte pas la moindre
proximité animale, se mit à hululer pour appeler le serveur qui, alerté par ses
cris aigus, accourut aussitôt. Nous lui désignâmes l’endroit où mois d’une
seconde plus tôt, se tenait la souris. Evidemment, elle avait disparu. Nous la
cherchâmes un moment, lui jurâmes qu’elle était bien là, mais il ne trouva rien
d’autre à dire que : « maintenant tout va bien, elle est
partie ». Puis, avec l’habituel flegme glacé des garçons de café parisien,
il nous tourna le dos et remonta poursuivre son service.
Aussitôt eut-il
disparu que la bête repointa son museau. Nouveaux hurlements, nouvelle entrée
en scène du garçon : la bestiole s’évapora encore. Cette petite vicieuse le faisait
exprès. Elle comprenait très bien ce qui se passait et menait le bal.
Le même manège se
reproduit une bonne douzaine de fois, jusqu’à ce que l’ami dont nous fêtions
l’anniversaire, excédé que le minuscule animal lui vole la vedette à sa propre
fête, fasse appeler le patron.
« Toutes nos
excuses », concéda celui-ci après avoir écouté notre récit. « Il y a
des travaux, juste à côté : les Archives Nationales font renforcer leurs
fondations et les vibrations effrayent les rongeurs, qui remontent dans les
bâtiments voisins. Je vous assure que nous n’en avions jamais eu avant.
- Mais c’est inadmissible !
Qu’est-ce qui nous garanti que la nourriture n’est pas contaminée ? »
s’esclaffa Théo, d’un air théâtralement outré. Il avait son sourire en coin des
mauvais coups. Je compris alors que ce radin patenté essayait de profiter de la
situation pour obtenir un rabais sur la note. C'était tout lui. Le restaurateur
le comprit aussi. Un rictus résigné passa sur son visage. Il savait qu’on ne
pouvait pas lutter contre ce genre de client.
« - La nourriture n’est pas
contaminée, vous avez ma parole. Mais si ça ne suffit pas, je vous offre le
dessert et un digestif ». Tout le monde applaudit son geste commercial. La
rasade de gnole qu’il nous servit nous fit définitivement oublier la souris,
qui avait filé pour de bon. Du moins, c’est ce que nous pensions.
Je la revis douze
jours plus tard, un dimanche. Pour
occuper les après-midi de week-end pluvieux comme celui-ci, il m’arrive de
peindre des natures mortes. Je ne suis pas très douée, mais cela m’amuse. Un
mois plus tôt, j’avais installé dans un coin de mon salon un bouquet de fleurs
mortes, une miche de pain et quelques coloquintes, devant lesquelles j’avais
monté mon chevalet.
La toile enfin
terminée, j’entrepris de remettre un peu d’ordre dans ma pièce à vivre. Je jetai
les fleurs séchées, rangeai les coloquintes. Lorsque j’attrapai la miche de
pain que je m’attendais à trouver desséchée et dure comme du bois, j’eus la
surprise de découvrir que celle-ci était entièrement creuse. Elle avait rongée été
par derrière. Quelque bête avait soigneusement raclé tout l’intérieur en
prenant soin de laisser la façade externe parfaitement intacte, afin que je ne
m’aperçoive de rien. C’était-là, indéniablement, l’œuvre d’un rongeur futé. Il avait
dû travailler la miche chaque nuit depuis des semaines pour aboutir à un tel
résultat.
Je restai interdite
une minute. Je vous l’ai dit : mon immeuble est infesté de vermines en
tout genre, mais pas de rat ni souris. Alors quoi ? Soudain, j’entendis
comme un grattement. Ou plutôt un petit rongement, comme un bruit de dents
minuscules attaquant quelque chose de croustillant. Je me retournai. Elle était
là. La souris. Oui, celle de la cave du marocain, tranquillement posée sur un
rayon de ma bibliothèque, en train de croquer ce qui ressemblait à un petit
écolier au chocolat. Je savais que c'était elle. Je reconnaissais ses petits
yeux noirs aux reflets lubriques. Oui, ils brillaient de cette même lueur,
celle qui disait : « je te désire, oui, je t’ai choisi toi parmi tous
les autres convives pour te pourrir la vie ».
Je poussai un cri de
rage et me jetai sur elle, mais elle disparut derrière les livres avant que j’aie
traversé la moitié du salon. Elle avait abandonné derrière elle le gâteau à
moitié croqué : il s'agissait bien un petit écolier au chocolat. Ma
gourmandise préférée. Le sang ne fit qu’un tour dans mon cerveau. Je me
précipitai dans ma cuisine, ouvris le placard où je rangeai mes réserves de
nourriture, attrapai le paquet de petits écoliers. Il était ouvert. Le
démoniaque animal avait grignoté avec méthode et application l’emballage en carton,
déchiré le film plastique à l’intérieur et chipé l’un des biscuits. Dégoûtée,
je jetai la boîte entière. Comment avait-il pu réussir un tel coup ?
Etait-ce vraiment la souris du restaurant, ou mon imagination me jouait-elle
des tours ? Si c’était bien elle, comment avait-elle pu arriver
jusqu’ici ? Je n’avais pas de sac à main ce soir-là. Si elle s’était
glissée dans l’une de mes poches, je l’aurai tout de même sentie, non ?
Je fus alors saisie
d’une rage intense. Mes poings tremblaient de colère et mes joues me brûlaient.
Cette salle petite mesquine avait piqué mes écoliers, parmi les dizaines de
paquet s de gâteaux rangés-là elle avait choisi mes préférés : elle se moquait de
moi. Elle ne s'en tirerait pas comme ça. J’allais la butter à coups de savate
comme les mulots de la grange de ma grand-mère, sans le moindre scrupule. Je
déplaçai mon canapé, soulevai le tapis, éloignai les meubles du mur pour
inspecter les plinthes. Après cela, je vidai chaque placard de la cuisine,
regardai derrière le frigo, fouillai ma chambre, j’ôtai même quelques carreaux
de la baignoire pour m'assurer qu'elle ne s’était pas faufilée derrière. Rien.
J’avais retourné mon appartement de fond en comble, mais je ne trouvai pas le
moindre trou par lequel elle aurait pu se glisser, ni la moindre trace de
miettes ou crotte qui aurait indiqué son passage. Elle s'était tout bonnement évaporée.
Je me couchai dépitée
autant qu'épuisée. Cette bestiole se fichait de moi. C'était une mutante à
l'intelligence surdéveloppée vouée à la seule torture du genre humain. S'il en
existait d'autres comme elle, nous étions fichus. Les rongeurs allaient nous
rendre fous et, après des siècles de domination, se révolter pour établir leur
règne sur la terre.
Mais peut-être que je
ne prenais trop les choses à cœur, pensais-je alors. Après tout ce n’était
qu’un animal. Or, un animal ne peut pas être pervers, vicieux et encore moins
démoniaque. Les êtres humains ont la fâcheuse tendance à prêter aux bêtes des
sentiments qu’elles n’éprouvent pas. En vérité, la seule chose qui importe à
ces dernières est de survivre. J’avalai un demi somnifère pour me calmer les
nerfs et me couchai. J’avais besoin de repos. Je sombrai dans un sommeil de
plomb.
Malgré le somnifère,
je me réveillai vers trois ou quarte heures du matin, car je sentis quelque
chose. Il me semblait que des mains discrètes couraient sur la couverture et
frôlaient mes jambes. J’étais encore à demi dans les vapes, si bien que je
pensai d’abord qu’il s’agissait de Gilles, mon petit ami. Il devait, pour je ne
sais quelle raison, chercher à rentrer dans le lit à tâtons. C’était bien son
genre. Mais je me rappelai soudain qu’il était à l’étranger pour un tournage.
Ça ne pouvait donc pas être lui. Je sursautai et allumai vivement la
lumière : c’était elle.
La bestiole
sautillait gaiement, comme un gamin s’amusant sur le matelas de ses parents un
dimanche matin. Quelle souris peut bien faire ça, hein ? Un mulot normal ne pense qu’à manger et se
reproduire, ça ne joue pas à réveiller les filles en pleine nuit et se faisant
passer pour les mains de leurs amants. Immonde ! Evidemment, la satanée maligne
disparut avant que je ne songe à la chasser. Je fus incapable de retrouver le
sommeil.
Le lendemain matin,
première heure, j’appelai mon propriétaire pour qu’il prenne charge le
problème : après tout, c’était son appartement. « Impossible,
mademoiselle », me répondit-il avec aplomb. « Je possède deux étages de
cet immeuble depuis plus de vingt ans, je sais de quoi je parle : il est
peut-être infesté de blattes et mites, ça oui, mais des rongeurs, non. Et puis,
soyons sérieux, les souris ne remontent jamais jusqu’au septième ! »
Il me raccrocha au nez. Cet empaffé ne me croyait pas.
De rage, je dormis
les quatre nuits suivantes chez mon amie Lucie, dégoûtée à l'idée qu'un animal
ait posé ses sales pattes sur mon lit. Il me fallut deux jours de plus pour de
me ressaisir. Tout de même, je n’allais pas laisser une souris me mener par le
bout du nez !
J’achetai une
trentaine de petits pièges bourrés de mort au rat que j’installai un peu
partout dans mon appartement. En ayant bien sûr pris soin de remplir certains
d’entre eux de miettes de petits écoliers. La bête était peut-être futée, mais
c’était aussi une gourmande : elle ne pourrait pas résister aux gâteaux chocolatés.
Deux semaines
s’écoulèrent. Il ne se passa absolument rien. La souris ne pointa pas son
museau, ne piqua aucune sucrerie, ne sauta pas sur mon lit. Je pensais m’en
être débarrassée, enfin. Jusqu’à ce fameux vendredi soir.
Je devais retrouver
Gilles un peu plus tard, au restaurant. Je me préparais tranquillement, en ne
négligeant aucun détail. J’ouvris la petite boîte à bijoux où je rangeais mes
boucles d’oreilles préférée : vide. J’étais pourtant certaine de les avoir
laissées là. C’est simple, je ne les range jamais ailleurs. Je suis une fille
incroyablement ordonnée en ce qui concerne les bijoux. Je clignai des yeux et
regardai encore : non, il n’y avait rien, si ce n’est, à l’endroit exact
où les boucles auraient dû être agrafées, quatre petites crottes noires et
sèches. Ce fieffé rongeur avait réussi à ouvrir ma boîte à bijoux, à chouparder
mes boucles d’oreille, et avait déféqué à leur place. Quelle souris fait ce
genre de choses, hein ?
De rage, je jetai le
coffret contre le mur. Si elle voulait me rendre folle, c’était gagné. Je
commençais sérieusement à croire qu’elle était le diable incarné, et qu’elle
m’avait choisi de me punir. Qu’avais-je donc fait de mal pour mériter ça ?
Je retournai une
nouvelle fois mon appartement de fond en comble. Elle était là, quelque part,
forcément. Je devais la trouver. Vers 21 heures, j’appelai Gilles et prétextai une
mauvaise gastroentérite me clouant au lit. Je ne pouvais décemment pas lui
avouer ce qui me retenait vraiment. Je repris ma fouille, minutieusement.
J’allai jusqu’à crever les coussins du sofa pour vérifier si l'animal ne s’y cachait
pas et à déplacer chacun de mes appareils d'électroménager afin de m’assurer
qu’elle n’avait pas élu refuge par là-bas en dessous.
Je fis une pause vers
vingt-trois heures, harassée. Je me laissai tomber sur une chaise de la cuisine.
Je ne savais plus où fouiller. J’avais vraiment cherché partout. Je me servis une
rasade de vodka. A ce stade d’agacement, seule une gorgée d’alcool fort était
susceptible de m’apaiser un peu. Dépitée, je laissai mon regard errer dans la
pièce. Il tomba sur la hotte aspirante, au-dessus de la cuisinière. Comme je me
nourris exclusivement de plats tout prêts à réchauffer au four à micro-ondes,
je ne m’en étais jamais servie depuis mon arrivée. C’était le seul endroit que
je n’avais pas encore exploré. Un endroit chaud, sale et humide. Tout à fait le
genre de ma filoute de souris. Je me jetai sur le tuyau et le secouai
violemment. Il était recouvert d’une finn couche de pellicule grasse et
poussiéreuse, probablement issue de la cuisine à l’huile des précédents
locataires. C’était répugnant, mais je m’en moquai. Je frappai de toutes mes forces
sur la hotte, jusqu’à ce qu’elle cède – elle était si vieille que ce fut moins
difficile que je ne l’imaginai. Je tombai en arrière avec le tuyau dans les
bras.
Tout un bazar se
répandit sur le sol : des boules de gaine isolante grisâtre et viciée, des
minons de poussière crasseux, et au milieu, deux bagues, le collier que m’avait
offert mon amie Lucie, trois bracelets, et mes boucles d’oreille. Sans oublier
une demi douzaine de petits écoliers à moitié grignotés. La bête m’avait volé,
spolié, dépouillé. J’avais enfin trouvé son repère.
J’étais soulagée
d’avoir retrouvé mes bijoux, mais tout autant folle de rage : la maudite
m’échappait encore. Et elle m'échappe toujours. Il faut que je m’en débarrasse
au plus vite. C’est une question de santé mentale. Il en va aussi de ma vie
sociale : je ne peux pas continuer de passer mes vendredis soirs ainsi, à mettre
mon appartement sens dessus dessous, plutôt que de sortir avec Gilles.
Alors voilà, monsieur
le dératiseur. Je vous ai raconté mon histoire. Vous savez désormais à quel
genre de bête vous avez affaire. Je vous paierai le prix qu’il faut, à
condition que vous m’assuriez un service après-vente des plus sérieux. Car
voyez-vous, il n’est pas impossible que la peste, devinant votre arrivée, se
cache pendant des semaines, pour ne réapparaître que lorsque je commencerai à
me croire enfin libérée de sa maléfique emprise. Elle m’a déjà fait le coup une
fois.
Alors, vous
signez ? Parfait. Vraiment, je vous remercie d’accepter le job. Tous les
autres ont refusé. Oui, vraiment, ils ont refusé après avoir entendu mon
histoire : c'est fou, non ? Des poules mouillées, tous autant qu’ils sont. Mais
je dois vous prévenir d’une chose. Jamais, sous aucun prétexte, vous ne devrez
regarder cet animal dans les yeux, vous m’entendez ? Débrouillez-vous,
enfilez des lunettes noires, fermez les paupières, peu importe, tant que vous
ne croisez pas son regard. Car on ne sait jamais. Elle pourrait flasher sur
vous.
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