Auteur: Alain
Finkielkraut
Titre Original: L’identité malheureuse
Date de Parution : 19 octobre 2013
Éditeur : Stock
Nombre de pages : 240
Prix : 19,50€
18,53€
Quatrième de couverture : L’immigration qui contribue et contribuera
toujours davantage au peuplement du Vieux Monde renvoie les nations européennes
et l’Europe elle-même à la question de leur identité. Les individus
cosmopolites que nous étions spontanément font, sous le choc de l’altérité, la
découverte de leur être. Découverte précieuse, découverte périlleuse : il nous
faut combattre la tentation ethnocentrique de persécuter les différences et de
nous ériger en modèle idéal, sans pour autant succomber à la tentation
pénitentielle de nous déprendre de nous-mêmes pour expier nos fautes. La bonne
conscience nous est interdite mais il y a des limites à la mauvaise conscience.
Notre héritage, qui ne fait certes pas de nous des êtres supérieurs, mérite
d’être préservé, entretenu et transmis aussi bien aux autochtones qu’aux
nouveaux arrivants. Reste à savoir, dans un monde qui remplace l’art de lire
par l’interconnexion permanente et qui proscrit l’élitisme culturel au nom de
l’égalité, s’il est encore possible d’hériter et de transmettre.
Extrait
Extrait de l'avant-propos
Le changement n'est plus ce qu'il était
Je suis né à Paris le 30 juin 1949. Ce qui signifie que j'ai grandi et
passé une partie de ma vie d'adulte, personnelle et professionnelle, dans une
France bien différente de celle que nous habitons aujourd'hui. Dans cette
France de naguère, on croyait à la politique. Dans cette France d'autrefois,
l'histoire devait déjà répondre de ses crimes, mais elle semblait encore
porteuse de sens.
En mai 68, je terminais mon année de khâgne au lycée Henri-IV. Je
m'étais mis au vert, dans un village de Sologne, pour préparer, avec un ami, le
concours d'entrée à l'École normale supérieure. Nous révisions le jour, je
paniquais la nuit, le monde n'existait plus, il n'y avait de place dans ma vie
que pour cette échéance. J'ai donc été pris au dépourvu par ce qu'on a appelé
tout de suite les événements : ils ont déboulé sans préavis. Malgré mon voeu de
ne pas me laisser distraire, je les ai d'abord suivis l'oreille collée à un
transistor. Mais très vite, cette passivité m'a pesé. Je n'ai pas voulu, je
n'ai pas pu rester en plan et continuer de faire tapisserie dans un hôtel
coquet et tranquille, à la campagne.
Revenu à Paris après les premiers heurts entre les étudiants et la
police, j'ai pleinement vécu ce moment de grâce, cette interruption sabbatique
de la vie courante où les gens ne se croisaient plus mais s'écoutaient et se
disputaient la parole. Avec la participation de chacun et à la stupeur
générale, la fourmilière était devenue une agora. Rien n'échappait à la
critique, on se grisait de tout repenser, de tout reprendre, de tout refaire.
Et cela dehors, à ciel ouvert, dans une ville soudain libérée de la tyrannie
des transports : les rues n'étaient plus abaissées au rang de voies de passage,
les voitures cédaient le terrain, le verbe emplissait l'espace. Un verbe, il
est vrai, très codé : moi qui n'avais jamais milité, je me suis découvert,
comme la plupart de mes interlocuteurs, une surprenante facilité à apprendre et
à parler l'idiome révolutionnaire. J'ai chanté «Bella Ciao», en manifestant
boulevard Saint- Michel, j'ai rédigé des affiches, j'ai perdu ma voix dans les
assemblées générales et, avec d'autres khâgneux, ensorcelés par le slogan
«Soyez réalistes, demandez l'impossible !», j'ai exigé le report du concours au
mois de septembre. Nous avons obtenu gain de cause. Avec l'été a sonné l'heure
de la dispersion, nous nous sommes égaillés dans la nature, nous avons passé des
vacances inquiètes et studieuses : l'histoire redevenait une matière, le latin
reprenait ses droits. Je me suis, pour ma part, plongé dans mes fiches, j'ai
bachoté, j'ai concouru, j'ai échoué et j'ai intégré l'année suivante l'École
normale supérieure de Saint-Cloud, installée aujourd'hui à Lyon. Mais je n'en
avais pas fini avec la passion politique.
Il y a eu les années gauchistes de la déconstruction des valeurs
héritées, de la remise en cause de toutes les modalités du Pouvoir et de
l'aspiration à un changement radical du monde. Puis est venu le tournant
antitotalitaire. Sous l'effet du combat mené par les dissidents dans ce qui
était alors «l'autre Europe», les contestataires que nous étions se sont
réconciliés avec le suffrage universel aussi et avec les droits de l'homme.
(...)