Auteur: Jean-Claude
Lalumière
Titre Original: La campagne de France
Date de Parution : 2 janvier 2013
Éditeur : Le Dilettante
Nombre de pages : 288
Prix : 17,50€ 16,63€
Quatrième de couverture : Nous avions donc laissé Jean-Claude Lalumière en
proie aux entrelacs et aléas de la bureaucratie diplomatique sur Le Front russe
qui, comme chacun le sait, campe dans le XIIIe arrondissement de Paris. Avec La
Campagne de France, retour aux terroirs gaulois et à un théâtre des opérations
subi dans les affres par Alexandre et Otto, deux militants ardents de la « Drôle de guerre » culturelle, apôtres souffrant du
culturalisme, itinérants, bref, patrons de Cultibus. Ou comment, forts d’un bus
d’occasion
marchant au colza, imbiber de culture une escouade de douze Luziens activement
retraités (le retraité actif étant au voyagiste culturel ce que le baigneur est
à la méduse : une manne !) Mais là les deux fantassins de
l’escale lettrée (de Mauriac à Dany Boon, avec crochet par Oradour et pause en Limousin
giralducien) se doivent de composer avec un panel redoutable : germanophobie ancien-combattante,
surdité, pédantisme automobile, virevolte amoureuse, lubie de dernière heure
qui impose un détour par une usine de bonbons et une descente au Musée de la pomme
tapée, piquet de grève laitier, etc. Et il faudra bien la « Mustaphette » de Josy la Frite et son accorte tablée
pour redoper le moral en berne de la troupe débandée. Les voyagistes culturels
seraient-ils, à
l’image des pères de famille, les ultimes aventuriers du monde moderne ? La réponse avec cette symphonie
pathétique pour douze retraités, un bus et quelques illusions perdues.
Extrait :
«Le voyage avait pourtant bien commencé. Nous avions récupéré les
membres de la fédération départementale des agriculteurs des
Pyrénées-Atlantiques devant la mairie de Jurançon. Ils étaient joyeux à l'idée
de ce voyage, blagueurs même. Dès le début, à peine installés dans le bus, ils
m'avaient surnommé "le bonsaï", prétendant que j'avais dû grandir
avec du fil de fer autour des bras pour qu'ils soient si maigres. Je tiens à
préciser que mes bras ne sont pas maigres. J'ai des membres délicats, et je
dirais plutôt qu'ils sont graciles. Le terme, me semble-t-il, est plus
approprié. A la rigueur, j'accepterais qu'ils soient qualifiés de menus. Bref,
en tout cas, comme eux, nous nous réjouissions des jours qui s'annonçaient car,
il faut vous l'avouer, c'était la première fois que des clients nous
demandaient cette excursion. Nous l'avons mise en place il y a trois ans, quand
nous avons créé notre agence de voyages, mais jamais personne ne s'y était
intéressé jusque-là. C'était une grande première. Alors, bien sûr, quand après
deux kilomètres, les agriculteurs ont sorti les tire-bouchons, j'y ai vu comme
une manière de célébration. Tout cela prenait un tour festif et, un peu
naïvement je le concède, j'ai pensé que nous allions aborder dans un esprit bon
enfant les poètes du XVIe siècle. Certes, que les membres de la fédération des
agriculteurs des Pyrénées-Atlantiques s'intéressassent à la littérature... Oui,
monsieur Dunoyer, parfaitement, s'intéressassent, à la poésie qui plus est,
aurait dû nous mettre la puce à l'oreille. La présence de cages contenant des
poules parmi leurs bagages aurait dû nous alerter tout autant. Sans parler du
mouton, pour lequel il nous a fallu parlementer longuement. Ils ont fini par
reconnaître qu'il n'était pas possible de faire voyager cette pauvre bête dans
un autocar déjà complet et ils ont accepté de le laisser dans le Béarn. Ils ont
été très surpris lorsque nous nous sommes arrêtés à Nérac, à peine deux heures
après notre départ alors que notre bus était équipé de toilettes et leurs
musettes généreusement garnies. Rien ne justifiait cette halte à leurs yeux. Et
leur surprise fut encore plus grande quand nous leur avons annoncé qu'ils allaient
visiter le château de Marguerite de Navarre, première femme de lettres
française. Je ne sais plus si c'est au mot femme ou lettres qu'ils se sont
rassemblés pour faire front... Alignés tel un pack de rugbymen s'apprêtant à la
mêlée, les agriculteurs nous toisaient, évaluant sans doute le nombre de
bouchées qu'il leur faudrait pour nous avaler. Il fallait les voir ainsi
alignés. D'aucuns auraient pu interpréter ce regroupement bestial comme la
manifestation d'un élan collectiviste spontané, peut-être même du Grand Soir
des paysans. Mais moi, je savais bien qu'il n'y avait rien de réfléchi dans ce
geste, seulement l'expression d'un caprice. Je dois cependant reconnaître qu'il
se dégageait de leur silhouette une parfaite harmonie qui ne fut pas sans émouvoir,
un bref instant, mon sens esthétique : des têtes massives plantées directement
dans des épaules robustes, des avant-bras comme des cuisses, des doigts taillés
comme des andouillettes. (...)