La Révolution française
de 1789 symbole de la République mais avant tout une révolution bourgeoise.
La crise de l'Ancien
régime
Louis XVI, qui
appartenait à la dynastie des Capétiens, régnait sur 25 millions de Français à
la veille de la Révolution. La société était d’essence aristocratique, fondée
sur une série de privilèges de naissance et sur la propriété terrienne. Cette
noblesse, représentant moins de 2% de la population du pays, était exempte
d’impôts et détenait le cinquième des terres. Le clergé, reposant sur la
perception de la dîme et sur la propriété foncière, comptait environ 120 000
membres. Le Tiers Etat, lui, représentait l’immense majorité de la nation, plus
de 24 millions d’habitants. Dans sa célèbre brochure de 1789, Siéyès répond à
la question "Qu’est-ce le Tiers Etat ?" : "Tout, mais un tout
entravé et opprimé. (...) Rien ne peut aller sans lui, tout irait infiniment
mieux sans les autres."
Mais ce Tiers,
regroupant tous les roturiers, ne formait pas une classe. Il se composait d’une
bourgeoisie, portée par la croissance de l’industrie (de 60% sur 80 ans) et du
commerce (qui a quadruplé), d’une paysannerie, d’une petite-bourgeoisie et des
classes populaires des villes (petits boutiquiers, artisans, compagnons,
ouvriers des manufactures). Le souci essentiel du "petit peuple"
était le pouvoir d’achat. Le pain manquait. L’agriculture, freinée par les
rapports de propriété féodaux, était incapable de suivre l’explosion
démographique. A la veille de 1789, la part du pain dans le budget populaire
constituait 58% ; elle fut portée à 88% en 1789, ne laissant que 12% du revenu
pour les autres dépenses. L’Etat s’endettait de plus en plus, suite à la crise
économique de la fin des années 1770 et à la participation de la France à la
guerre d’Indépendance des Etats-Unis. Dans un pays prospère, l’Etat était au
bord de la faillite, les privilégiés refusant de consentir à l’égalité devant
l’impôt. La noblesse, détenant le monopole du pouvoir politique, pouvait
bloquer toutes les mesures qui allaient à l’encontre des ses privilèges.
La révolte des
sans-culottes
Le prix du pain en
juillet 89 était remonté à son niveau le plus élevé depuis 1707. En avril 1789,
les ouvriers de la fabrique de Réveillon, manufacture de papiers peints,
s’étaient mis en grève. L’intervention de la troupe dans le quartier du
Faubourg Saint-Antoine à Paris a fait plus de 300 morts. Des 71 victimes
arrêtées ou mortes, 58 étaient salariés. La lutte des classes moderne
s’annonçait déjà. La composante prolétarienne des sans-culotte parisiens
deviendra l’une des principales forces motrices de l’avant-garde de la
Révolution contre l’Ancien régime. Les 11 et 12 juillet, 40 des 45 barrières
douanières de l’enceinte des fermiers généraux furent saccagées. Les masses non
possédantes sont descendues dans l’arène pour détruire les derniers vestiges du
féodalisme.
Le 14 juillet, les
sans-culottes du Faubourg Saint-Antoine ont pris la Bastille, forteresse dont
le rôle était de dominer l’Est parisien, plébéien. Les masses voulaient des
armes. Elles voulaient aussi détruire cette prison pour dettes, hautement
symbolique. La prise de la Bastille, qui n’était aucunement commandée par la
bourgeoisie, marque l’entrée des masses parisiennes sur la scène de la
Révolution comme force indépendante. En même temps, une série d’insurrections
urbaines eut lieu également à Rennes, à Caen, au Havre, à Strasbourg et à
Bordeaux. Ce sont les masses urbaines qui, par leurs interventions décisives,
ont contré à la fois la réaction monarchiste et les hésitations des bourgeois.
En octobre 1789, les femmes de Paris ont marché sur Versailles et sont rentrées
à Paris avec le roi fait prisonnier.
De ce mouvement
sans-culotte va naître une tentative de gouvernement populaire, la Commune de
Paris, avec ses sections locales, sa démocratie directe et agitée, et ses
revendications socialisantes...
La bourgeoisie avait
beaucoup à gagner, mais certains secteurs craignaient aussi pour ce qu'ils
avaient déjà. Le souhait moyen était plutôt une réforme raisonnable du régime
qu'un saut dans l'inconnu. Elle avait d’abord tenté d’arriver à un compromis
avec la monarchie de Louis Capet, l’assemblée du 4 août 1789 le proclamant
"restaurateur de la liberté française". Louis ne pouvait accepter
cette offre servile et l’audace du "peuple" et la résistance de
l’Ancien régime forcèrent de plus en plus la main à la bourgeoisie. Alors, en
dernière analyse, si la révolution de 1789 fut bourgeoise dans ses objectifs et
ses tâches historiques, elle fut accomplie malgré une bourgeoisie hésitante
grâce à l’action des masses plébéiennes révolutionnaires des villes et des
campagnes. Sans la force des masses révolutionnaires, la bourgeoisie aurait
reculé. Cette force plébéienne fut à maintes reprises et à tous les moments
critiques de la Révolution, la vague de fond qui empêcha la bourgeoisie de fuir
et l’obligea à combattre le féodalisme jusqu’au bout.
La prise de la Bastille le
14 juillet 1789 n’aurait pas eu lieu sans l’action des sans-culottes parisiens
: la bourgeoisie à l’assemblée n’avait pas donné le signal de la prise violente
de la Bastille et aurait fini par succomber face aux troupes royales.
"Sans la marche sur
Versailles, le 5 octobre, des bras nus affamés et sans leur irruption dans
l’enceinte de l’assemblée, la Déclaration des droits de l’homme n’eût pas été
sanctionnée. Sans l’irrésistible vague de fond partie des campagnes,
l’assemblée n’eût pas osé s’attaquer, bien que timidement, à la propriété
féodale, dans la nuit du 4 août 1789. Sans le puissant mouvement des masses du
10 août 1792, l’expropriation sans indemnité des rentes féodales n’eût pas été,
enfin, décrétée; La bourgeoisie eût hésité devant la république et devant le
suffrage universel.
Qui étaient donc ces
masses révolutionnaires qui ont assuré la victoire de la révolution bourgeoise
? Le retard du capitalisme français avait eu comme conséquence le développement
tardif de l’industrie et, donc, de la classe ouvrière. Chez les sans-culottes,
il y avait des ouvriers des manufactures, une classe pré-prolétarienne. Encore
loin du prolétariat du XIXème siècle, ce prolétariat embryonnaire comprenait
des éléments pré-capitalistes, liés à l’artisanat petit-bourgeois. Initialement
les plus farouches opposants au régime féodal, ils sont devenus de plus en plus
les adversaires acharnés des bourgeois vacillants. Ils ont forcé la main de la
bourgeoisie. L’action de ces masses semi-prolétariennes, armées, constituait
une menace permanente pour le pouvoir de la bourgeoisie dont elle était très
consciente.
"À côté de
l’opposition entre noblesse féodale et bourgeoisie existait l’opposition
universelle entre exploiteurs et exploités, riches oisifs et pauvres laborieux.
(...). Dès sa naissance, la bourgeoisie était grevée de son contraire : les
capitalistes ne peuvent pas exister sans salariés et à mesure que le bourgeois
des corporations du Moyen âge devenait le bourgeois moderne, dans la même
mesure le compagnon des corporations et le journalier libre devenaient le
prolétaire. Et même si, dans l’ensemble, la bourgeoisie pouvait prétendre
représenter également, dans la lutte contre la noblesse, les intérêts des
diverses classes laborieuses de ce temps, on vit cependant, à chaque grand
mouvement bourgeois, se faire jour des mouvements indépendants de la classe qui
était la devancière plus ou moins développée du prolétariat moderne.
Ce sont ces masses non
possédantes qui ont conduit à la victoire la Révolution bourgeoise contre la
bourgeoisie elle-même. A la campagne aussi se sont les masses non possédantes
qui ont pris l’initiative en prenant possession de la terre pendant l’été 1789.
L’abolition formelle de la féodalité par l’assemblée ne fit qu’avaliser ce qui
était déjà devenu réalité dans de nombreuses régions. En général, la
paysannerie cherchait à abolir les droits féodaux, à confisquer
systématiquement les terres et à les redistribuer dans un esprit d’égalitarisme
petit-bourgeois. Elle ne voulait pas supprimer le marché mais elle voulait que
la propriété privée soit limitée et que tous aient les mêmes avantages sur le
marché. Consciente de la nécessité d’empêcher les petits-paysans de régler la
question agraire à leur guise, la bourgeoisie a fait décréter par la Convention
en mars 1793 la peine de mort pour tous ceux qui "proposeraient la loi
agraire". C’est donc d’en bas que la paysannerie a détruit le féodalisme,
ouvrant ainsi la voie à l’introduction du capitalisme dans l’agriculture. En
même temps, les masses plébéiennes de Paris ont détruit les derniers vestiges
politiques du système féodal.
Pour parvenir à ses
buts, la bourgeoisie devait mobiliser l'ensemble du Tiers Etat contre
l’aristocratie. Mais dans le même temps les revendications populaires étaient
sans cesse une menace pour sa propre richesse, aussi elle souhaitait mettre fin
au mouvement dès que la réaction semblait matée. Le développement insuffisant
du capitalisme et le petit embryon de prolétariat qui existait en 1789 ne
permettaient pas aux sans-culottes de franchir les limites objectives de la
révolution bourgeoise : leur implantation n'était pas assez massive, et aucun
leader n'entrevoyait de possibilités assez concrètes de mode de production
alternatif.