Auteur: Sarah McCoy
Titre Original: Un goût de cannelle et d'espoir
Date de Parution : 2 avril 2015
ISBN: 978-2266250061
Prix : 8,10 €
Quatrième de couverture : Allemagne,
1944. Malgré les restrictions, les pâtisseries fument à la boulangerie Schmidt.
Entre ses parents patriotes, sa sœur volontaire au Lebensborn et son prétendant
haut placé dans l'armée nazie, la jeune Elsie, 16 ans, vit de cannelle et
d'insouciance. Jusqu'à cette nuit de Noël, où vient toquer à sa porte un petit
garçon juif, échappé des camps... Soixante ans plus tard, au Texas, la
journaliste Reba Adams passe devant la vitrine d'une pâtisserie allemande,
celle d'Elsie... Et le reportage qu'elle prépare n'est rien en comparaison de
la leçon de vie qu'elle s'apprête à recevoir.
Extrait
Garmisch, Allemagne
Juillet 1945
Bien longtemps après que le fourneau d'en bas avait
refroidi et que celui d'en haut avait chauffé, que tout le monde s'était blotti
dans les draps en coton, elle sortit délicatement les pieds de sous le
couvre-lit fin et s'avança sans un bruit dans la pénombre. Elle ne mit pas ses
chaussons de peur que leur claquement ne réveille son mari endormi. Elle
s'arrêta un instant devant la chambre des filles, la main sur la poignée, et
tendit l'oreille. Un léger ronflement lui parvint, sur lequel elle accorda sa respiration.
Si seulement elle pouvait arrêter les saisons, oublier le passé et le présent,
pousser la porte et se glisser à côté d'elles comme avant. Mais elle était
incapable d'oublier. Son secret l'éloigna, la poussa vers les marches étroites
qui grinçaient sous son poids. Elle avança alors sur la pointe des pieds, se
retenant au mur d'une main.
Dans la cuisine, des boules de pâte aussi rondes et
blanches que des bébés s'alignaient sur le plan de travail et embaumaient l'air
de lait, de miel et de la promesse de lendemains meilleurs. Elle craqua une
allumette dont la tête noire s'enflamma et vint embraser la mèche avant de se
consumer. Elle préférait les rubans de fumée des bougies aux ampoules
électriques dont la clarté compromettante bourdonnait au-dessus de sa tête. Des
soldats armés patrouillaient dehors, elle ne pouvait prendre le risque
d'attirer l'attention ou de réveiller sa famille.
Elle s'agenouilla sous le pain qui levait, déplaça un
pot noirci et tâtonna dans l'obscurité pour trouver la fente dans le sol où
elle avait caché la nouvelle lettre plus tôt dans la journée. Ses paumes,
calleuses à cause du rouleau à pâtisserie, s'égratignèrent sur les planches en
bois. De petites échardes s'enfoncèrent dans sa peau, mais elle ne les remarqua
même pas. Son coeur tambourinait dans ses oreilles et propageait de la chaleur
le long de son bras, jusqu'au bout de ses doigts. Elle sentit enfin le
froissement du papier.
La lettre était arrivée au courrier, coincée entre un
reçu d'un meunier voisin et une vieille édition de Signal Magazine, la
couverture déchirée, les pages tellement trempées qu'elles en étaient
illisibles, à l'exception d'une réclame pour un splendide vélo BMW en aluminium
destiné au cycliste «moderne». Cette correspondance ennuyeuse avait d'autant
plus fait ressortir l'écriture délicate et le cachet qui datait d'un mois. Elle
l'avait tout de suite reconnue et avait rangé la lettre dans la poche de son
Dirndl avant que les clients dans le bureau de poste ne puissent y jeter un
oeil soupçonneux.
De retour à la maison, son mari l'avait interrogée.
- Quelles sont les nouvelles ?
- Rien de neuf. Des sous et encore des sous. Elle lui
tendit le magazine et la quittance.
- Il faut acheter encore et encore, ça ne s'arrête
jamais. Elle plongea les mains dans ses poches, serrant la lettre de toutes ses
forces.
Son mari grogna, jeta le magazine en lambeaux dans la
poubelle, puis glissa une lame en haut de l'enveloppe du meunier. Il en retira
le reçu et l'approcha de ses yeux, additionnant les chiffres mentalement pour
finir par acquiescer d'un petit hochement de tête.
- Tant que le monde tournera, les hommes continueront
à se réveiller affamés le matin. Et heureusement, sinon nous aurions mis la clé
sous la porte, ja ?
- Ja, répéta-t-elle. Où sont les enfants ?