Auteur: Jean-Paul
Didierlaurent
Titre Original: Le liseur du 6h27
Date de Parution : 5 mai 2014
Éditeur : Au diable Vauvert
Nombre de pages : 217
Prix : 16,00€ 15,20€
Quatrième de couverture : «Peu importait le fond pour Guylain. Seul l'acte
de lire revêtait de l'importance à ses yeux. Il débitait les textes avec une
même application acharnée. Et à chaque fois, la magie opérait. Les mots en
quittant ses lèvres emportaient avec eux un peu de cet écoeurement qui
l'étouffait à l'approche de l'usine.»
Guylain Vignolles est préposé au pilon et mène une existence maussade et
solitaire, rythmée par ses allers-retours quotidiens à l'usine. Chaque matin en
allant travailler, comme pour se laver des livres broyés, il lit à voix haute
dans le RER de 6H27 les quelques feuillets qu'il a sauvé la veille des dents de
fer de la Zerstor 500, le mastodonte mécanique dont il est le servant.
Un jour, Guylain découvre les textes d'une mystérieuse inconnue qui vont
changer le cours de sa vie...
Dans une couleur évoquant le cinéma de Jean-Pierre Jeunet ou la plume
ouvrière de Jean Meckert, Jean-Paul Didierlaurent signe un premier roman qui
nous dévoile l'univers d'un écrivain singulier, plein de chaleur et de poésie,
où les personnages les plus anodins sont loufoques et extraordinaires
d'humanité, et la littérature le remède à la monotonie quotidienne.
Extrait
Certains naissent sourds, muets ou aveugles. D'autres poussent leur
premier cri affublés d'un strabisme disgracieux, d'un bec de lièvre ou d'une
vilaine tache de vin au milieu de la figure. Il arrive que d'autres encore
viennent au monde avec un pied bot, voire un membre déjà mort avant même
d'avoir vécu. Guylain Vignolles, lui, était entré dans la vie avec pour tout
fardeau la contrepèterie malheureuse qu'offrait le mariage de son patronyme
avec son prénom : Vilain Guignol, un mauvais jeu de mots qui avait retenti à
ses oreilles dès ses premiers pas dans l'existence pour ne plus le quitter.
Ses parents avaient ignoré les prénoms du calendrier des Postes de cette
année 1976 pour porter leur choix sur ce «Guylain» venu de nulle part, sans
même penser un seul instant aux conséquences désastreuses de leur acte.
Étonnamment et bien que la curiosité fut souvent forte, il n'avait jamais osé
demander le pourquoi de ce choix. Peur de mettre dans l'embarras peut-être.
Peur aussi sûrement que la banalité de la réponse ne le laissât sur sa faim. Il
se plaisait parfois à imaginer ce qu'aurait pu être sa vie s'il s'était
prénommé Lucas, Xavier ou Hugo. Même un Ghislain aurait suffi à son bonheur.
Ghislain Vignolles, un vrai nom dans lequel il aurait pu se construire, le
corps et l'esprit bien à l'abri derrière quatre syllabes inoffensives. Au lieu
de cela, il lui avait fallu traverser son enfance avec, accrochée à ses
basques, la contrepèterie assassine : Vilain Guignol. En trente-six ans
d'existence, il avait fini par apprendre à se faire oublier, à devenir
invisible pour ne plus déclencher les rires et les railleries qui ne manquaient
pas de fuser dès lors qu'on l'avait repéré. N'être ni beau, ni laid, ni gros,
ni maigre. Juste une vague silhouette entraperçue en bordure du champ de
vision. Se fondre dans le paysage jusqu'à se renier soi-même pour rester un
ailleurs jamais visité. Pendant toutes ces années, Guylain Vignolles avait passé
son temps à ne plus exister tout simplement, sauf ici, sur ce quai de gare
sinistre qu'il foulait tous les matins de la semaine. Tous les jours à la même
heure, il y attendait son RER, les deux pieds posés sur la ligne blanche qui
délimitait la zone à ne pas franchir au risque de tomber sur la voie. Cette
ligne insignifiante tracée sur le béton possédait l'étrange faculté de
l'apaiser. Ici, les odeurs de charnier qui flottaient perpétuellement dans sa
tête s'évaporaient comme par magie. Et pendant les quelques minutes qui le
séparaient de l'arrivée de la rame, il la piétinait comme pour se fondre en
elle, bien conscient qu'il ne s'agissait là que d'un sursis illusoire, que le
seul moyen de fuir la barbarie qui l'attendait là-bas, derrière l'horizon, aurait
été de quitter cette ligne sur laquelle il se dandinait bêtement d'un pied sur
l'autre et de rentrer chez lui. (...)