Auteur: Antoine Prost
Titre Original: Si nous vivions en 1913
Date de Parution : 5 mars 2014
Éditeur : Grasset
Nombre de pages : 144
Prix : 11,00€ 10,45€
Quatrième de couverture : « Si nous vivions en 1913, nous aurions déjà
enterré bien des amis. Si nous vivions en 1913, nous serions surpris de voir
autant de militaires. Si nous vivions en 1913, nous serions paysans,
maréchaux-ferrants, couturières ou bourgeois, peut-être même rentiers. Si nous
vivions en 1913, nous travaillerions beaucoup. Si nous vivions en 1913, nous
serions fiers d’être une République. »
A travers une série de chroniques originales et passionnantes qui
réveillent le passé dans tout ce qu’il a de plus quotidien, Antoine Prost nous
dresse un portrait de la société française en 1913 tel qu’on ne l’apprend pas
dans les manuels scolaires. Une façon d’entrer dans la grande Histoire par une
petite porte. Un livre qui nous en dit long sur cette « Belle Epoque », si
lointaine, comme exotique, ce monde d’avant auquel mit fin la Grande Guerre.
Extrait
La vie et la mort
Si nous vivions en 1913, nous aurions déjà enterré bien des amis, bien
des proches, et peut-être serions-nous déjà morts nous-mêmes. L'espérance de
vie était alors de 50 ans. Elle est aujourd'hui de 85 ans pour les femmes et de
78 pour les hommes. Ces chiffres disent les progrès fantastiques de la
chirurgie et de la médecine. En 1913, il n'y avait ni antibiotiques ni
sulfamides. Les maladies infectieuses étaient souvent mortelles. On mourait de
la diphtérie, de la pneumonie, et même de la scarlatine ou de la rougeole. Sans
parler du fléau de l'époque : la tuberculose. La vaccination n'avait encore
éradiqué que la variole. En moyenne, un homme de 20 ans pouvait espérer vivre
jusqu'à 63 ans seulement.
Mais si l'espérance de vie à la naissance est alors de 50 ans, c'est
aussi, et peut-être surtout, parce que les bébés meurent beaucoup. 16 % meurent
au cours de leurs trois premières années, 1 sur 6 ne fête pas ses 3 ans. C'est
énorme, même si les efforts des hygiénistes ont réduit les chiffres : en 1900,
c'était 1 nouveau-né sur 5 qui ne franchissait pas le cap des 3 ans. Cela
s'explique par une mauvaise hygiène, des biberons archaïques avec des tuyaux en
caoutchouc, du lait de vache trop fort, des croûtes de pain dur qui avaient
traîné partout et qu'on faisait mâcher aux enfants pour faire venir leurs
dents. La meilleure façon de protéger les enfants était de les nourrir au sein,
ce qu'on faisait souvent pendant une année, parfois davantage. Pendant la
guerre de 1914, on créera dans certaines usines de guerre qui emploient
beaucoup de femmes, des chambres d'allaitement pour que les jeunes mères
puissent continuer à nourrir leurs enfants.
Cette forte mortalité infantile avait des conséquences. Le risque de
perdre les enfants conduisait les parents, les pères surtout, à censurer leurs
sentiments, à s'endurcir par avance. Emilie Carie, une institutrice des
Basses-Alpes, née avant 1914, en témoigne. Je cite : «Quand un enfant mourait,
pour peu qu'il n'ait pas dépassé les cinq ans, on ne s'émouvait guère. L'homme
disait à la femme : mais pourquoi pleures-tu ? Cet enfant ne fait faute à
personne, au contraire, voilà une bouche de moins à nourrir. Que diable, ce
n'était pas un gagne-pain. Cesse donc de pleurer.» Il ne faut pas généraliser à
partir de cet exemple, qui vient d'une région très particulière. Les réactions
dans la bourgeoisie étaient très différentes, et d'ailleurs cet exemple ne dit
pas que le père ne souffrait pas de la mort de l'enfant, mais il refusait de
l'avouer. (...)