Auteur: Michel Serres
Titre Original: Petite Poucette
Date de Parution : 30 mars 2012
Éditeur : Manifestes
Nombre de pages : 84
Prix : 9,50€ 9,03€
Quatrième de couverture : Le monde a tellement changé que les jeunes
doivent tout réinventer.
Nos sociétés occidentales ont déjà vécu deux révolutions : le passage de
l'oral à l'écrit, puis de l'écrit à l'imprimé. Comme chacune des précédentes,
la troisième, tout aussi décisive, s'accompagne de mutations politiques,
sociales et cognitives. Ce sont des périodes de crises.
De l'essor des nouvelles technologies, un nouvel humain est né : Michel
Serres le baptise «Petite Poucette» - clin d'oeil à la maestria avec laquelle
les messages fusent de ses pouces. Petite Poucette va devoir réinventer une
manière de vivre ensemble, des institutions, une manière d'être et de
connaître... Débute une nouvelle ère qui verra la victoire de la multitude,
anonyme, sur les élites dirigeantes, bien identifiées ; du savoir discuté sur
les doctrines enseignées ; d'une société immatérielle librement connectée sur
la société du spectacle à sens unique...
Ce livre propose à Petite Poucette une collaboration entre générations
pour mettre en oeuvre cette utopie, seule réalité possible.
A l'origine de ce livre, un discours prononcé à l'Académie française en
2011, qui a été très largement diffusé, tout d'abord par la publication d'un
extrait le lendemain dans «Le Monde», repris par un article dans «Le Figaro»
puis d'un grand mouvement sur Internet...
Extrait
Nouveautés
Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n'a jamais vu veau, vache,
cochon ni couvée. En 1900, la majorité des humains, sur la planète, travaillait
au labour et à la pâture ; en 2011 et comme les pays analogues, la France ne
compte plus que un pour cent de paysans. Sans doute faut-il voir là une des
plus fortes ruptures de l'histoire depuis le néolithique. Jadis référée aux
pratiques géorgiques, nos cultures, soudain, changèrent. Reste que, sur la
planète, nous mangeons encore de la terre.
Celle ou celui que je vous présente ne vit plus en compagnie des
animaux, n'habite plus la même terre, n'a plus le même rapport au monde. Elle
ou il n'admire qu'une nature arcadienne, celle du loisir ou du tourisme.
Il habite la ville. Ses prédécesseurs immédiats, pour plus de la moitié,
hantaient les champs. Mais, devenu sensible à l'environnement, il polluera
moins, prudent et respectueux, que nous autres, adultes inconscients et
narcisses.
Il n'a plus la même vie physique, ni le même monde en nombre, la
démographie ayant soudain, pendant la durée d'une seule vie humaine, bondi de
deux vers sept milliards d'humains ; il habite un monde plein.
Ici, son espérance de vie va vers quatre-vingts ans. Le jour de leur
mariage, ses arrière-grands-parents s'étaient juré fidélité pour une décennie à
peine. Qu'il et elle envisagent de vivre ensemble, vont-ils jurer de même pour
soixante-cinq ans ? Leurs parents héritèrent vers la trentaine, ils attendront
la vieillesse pour recevoir ce legs. Ils ne connaissent plus les mêmes âges, ni
le même mariage ni la même transmission de biens.
Partant pour la guerre, fleur au fusil, leurs parents offraient à la
patrie une espérance de vie brève; y courront-ils de même avec, devant eux, la
promesse de six décennies ?
Depuis soixante ans, intervalle unique dans l'histoire occidentale, il
ni elle n'ont jamais connu de guerre, ni bientôt leurs dirigeants ni leurs
enseignants.
Bénéficiant d'une médecine enfin efficace et, en pharmacie,
d'antalgiques et d'anesthésiques, ils ont moins souffert, statistiquement
parlant, que leurs prédécesseurs. Ont-ils eu faim ? Or, religieuse ou laïque,
toute morale se résumait en des exercices destinés à supporter une douleur
inévitable et quotidienne : maladie, famine, cruauté du monde.
Ils n'ont plus le même corps ni la même conduite; aucun adulte ne sut
leur inspirer une morale adaptée.
Alors que leurs parents furent conçus à l'aveuglette, leur naissance est
programmée. Comme, pour le premier enfant, l'âge moyen de la mère a progressé
de dix à quinze ans, les parents d'élèves ont changé de génération. Pour plus
de la moitié, ces parents ont divorcé. Ont-ils laissé leurs enfants ?
Il ni elle n'ont plus la même généalogie.