Auteur: Maria Ernestam
Titre Original: Le peigne de Cléopâtre
Date de Parution : 2 octobre 2013
Éditeur : Gaïa
Nombre de pages : 320
Prix : 21,00€ 19,95€
Quatrième de couverture : Mari, Anna et Fredrik, trois amis de longue date,
ont monté une société au doux nom du Peigne de Cléopâtre. Leur créneau :
résoudre les problèmes des gens. Chacun apporte ses compétences, qui en
jardinage, qui en déco d'intérieur ou en comptabilité... et la PME se développe
avec succès.
Chacun patauge quelque peu dans sa propre existence, en quête d'identité
ou d'âme soeur, et trouve un réconfort non négligeable dans l'idée de venir en
aide à autrui.
Jusqu'au jour où une vieille dame se présente avec une étrange requête :
elle souhaite que Le peigne de Cléopâtre élimine son mari.
Difficile de résister à un filon qui promet d'être lucratif, et les
candidats se bousculent bientôt au portillon.
Extrait
L'idée du Peigne de Cléopâtre vint à Mari quand son patron lui déclara
qu'il se passerait désormais de ses services. Au moment même où il prononça ces
mots, Mari sut qu'elle oublierait le reste de leur entretien. L'homme avec qui
elle travaillait depuis trois ans n'avait plus besoin d'elle. Il avait
l'intention de se débarrasser d'elle comme on jette une vieille éponge.
Étrange. On se sert d'une éponge tous les jours pendant des semaines,
voire des mois. On la passe sous l'eau, on l'essore, on essuie le plan de
travail avec, puis on la range à côté du robinet. Un jour, on s'aperçoit
qu'elle sent mauvais et on la jette. Sans se dire que cette mauvaise odeur
résulte de bons et loyaux services. Apparemment, cela n'entre guère en ligne de
compte pour les éponges. Ni pour Mari.
Perdue dans ses pensées, elle prit conscience qu'elle n'était pas
certaine de comprendre ce que venait de lui annoncer son patron - qu'elle avait
d'ailleurs toujours considéré comme son égal. Après tout, c'était elle qui
menait la barque. Johan était plus convaincant dans le rôle de l'usurpateur,
s'attribuant avec brio le fruit du travail des autres.
Pourtant, elle avait aimé faire équipe avec lui. Ils avaient fondé leur
cabinet comptable quelques années auparavant, à la suite des menaces de
licenciement économique de leur dernier employeur. Certes, ça n'avait pas été
facile. Ils s'étaient versé des salaires symboliques et avaient travaillé en
dessous du seuil de rentabilité le temps de se constituer une clientèle. Mais
quand l'activité avait pris son essor, ils avaient sabré le Champagne.
Mari était satisfaite de son travail. Pourtant, elle ressentait un
manque. Pendant ses heures de bureau, elle rêvait d'être ailleurs. Elle imaginait
David l'accueillant à la maison le soir avec un éclat de rire qui signifierait
«fuck them all». Au fond, tout ce qu'elle souhaitait, c'était qu'il se remette
à faire frire des oeufs au bacon au beau milieu de la nuit, comme avant, quand
il lui demandait si elle préférait y voir un dîner tardif ou un petit déjeuner
très matinal. Qu'il redevienne aussi chaleureux qu'à l'époque où il préparait
des moules à la coriandre et au safran pendant que la tarte salée du jour
cuisait dans le four.
Johan s'était lancé dans une tirade monotone à propos des bénéfices de
la fusion envisagée. Pourquoi se donnait-il tant de mal ? Ce qu'il lui
racontait n'était pas un scoop. Elle avait suivi de près les négociations
hargneuses avec leur concurrent, et en réalité, c'était elle qui avait conclu
le marché. Ils le savaient pertinemment tous les deux. Mais elle s'en fichait.
Depuis que David avait changé, cela lui était complètement égal d'occuper un
poste de dirigeante ou d'assistante. Elle faisait ce qu'elle avait à faire et gagnait
bien sa vie, cela lui suffisait amplement.
Johan semblait sur le point de terminer son soliloque. Dans un accès de
théâtralité, il se pencha par-dessus le bureau pour saisir les mains de sa
collaboratrice. Mari eut l'impression que des tentacules visqueux se
dirigeaient vers elle. Pas question qu'il la touche. Son regard s'arrêta sur
une paire de ciseaux et elle eut l'envie folle de sectionner les bras de Johan
en leur milieu, comme deux serpents, pour les mettre hors d'état de nuire.
Croyait-il que ce geste faussement bienveillant allait changer quoi que ce soit
? Entre eux, le contact physique avait toujours été inconcevable, si bien que
leur intimité se résumait à une accolade à Noël. Ils avaient à peu près le même
âge. Elle, quarante-deux ans, et lui, un peu plus, mais manifestement, elle ne
risquait pas le harcèlement sexuel. Trop blonde, trop ronde, trop nature. Trop
réservée, trop aimable, trop gentille. Un peu terne, en fin de compte. La fois
où, lors d'une fête au bureau, il lui avait demandé si elle avait un problème
avec les bretelles de son soutien-gorge - elles n'arrêtaient pas de glisser -,
il était passablement ivre. Elle avait immédiatement rangé cette remarque au
rayon des «humiliations du quotidien».