Auteur: Stephane Tison,
Hervé Guillemain
Titre Original: Du front à l’asile, 1914-1918
Date de Parution : 12 Septembre 2013
Éditeur : Alma Éditeur
Nombre de pages : 416
Prix : 24,00€ 22,80€
Quatrième de couverture : «Depuis que je suis parti de la maison de santé
mon état ne s'est pas amélioré. J'ai essayé toutes choses : travail, exercices
divers, repos, ce travail du cerveau est toujours là, élancement, persécutions,
craquements, coups, ronflements, insomnies m'enlevant l'aptitude au travail...
Or je n'ai pas de situation personnelle et il m'est impossible en cet état de
gagner ma vie. Comme vous m'avez conseillé monsieur le docteur de m'adresser à
mon député pour un secours, je viens d'être forcé de le faire. Il trouve ma
demande parfaitement justifiée et me demande de produire un certificat médical
attestant mon état nerveux d'origine de guerre.»
Le caporal Daniel D. écrit ces mots en août 1917 au médecin-chef de
l'asile d'Alençon.
De l'homme de troupe jusqu'à l'officier, ils sont des milliers à
souffrir de troubles du comportement ou à revenir délirants du front. Comment
interpréter et prendre en charge cette vague inédite de symptômes variés ? Ces
hommes dont certains passent en conseil de guerre et d'autres échouent à
l'asile sont-ils des déserteurs, des victimes de l'artillerie moderne ou bien
des malades mentaux ? La guerre peut-elle vraiment rendre fou ?
Se fondant sur des documents inédits, puisés dans les archives des
établissements psychiatriques, Hervé Guillemain et Stéphane Tison font entendre
la voix de ceux qui furent brisés par la guerre, les difficultés des familles
et la difficile reconnaissance de ce que l'on nomme aujourd'hui le traumatisme
de guerre. Des récits vrais, bouleversants dans leur simplicité et leur
sobriété, rythment l'enquête. Ils montrent l'ampleur du défi auquel furent
confrontés psychiatres et militaires.
Extrait
Combien d'Albert encore présents entre les murs de l'asile après cette
autre guerre ? Les soignants de 1946, marqués par les privations du long
conflit qui vient de s'achever, prenant parfois en charge les déportés de
retour des camps, peuvent-ils entendre le discours de cette femme qui enracine
le mal de son époux dans un événement si lointain ?
La découverte d'un carton d'archives contenant des dizaines de livrets
militaires dans le fonds d'un hôpital psychiatrique de l'Ouest était pour nous
un indice évident de ce fait historique méconnu : un quart de siècle après la
fin de la Grande Guerre, de nombreux soldats ayant combattu sous l'uniforme des
Poilus vivaient toujours dans les pavillons des hôpitaux psychiatriques
français. Pour d'autres anciens combattants, les événements de la vie rouvrent
leurs fractures passées et les ramènent épisodiquement à l'hôpital.
Interné à deux reprises pendant la Grande Guerre, Raoul B., prisonnier
pendant plus de trois ans, pensionné militaire pour troubles mentaux liés aux
combats, rechute peu après le décès de son épouse, dans les années 1930. Il
rentre une nouvelle fois chez lui, après un an et demi d'hospitalisation, au
moment où l'armée allemande pénètre en Pologne en septembre 1939. Mais ceux
dont la trace est la plus visible dans l'institution sont plutôt les anciens
Poilus dont le séjour asilaire s'est prolongé continûment.
François B. a peut-être côtoyé les deux patients cités précédemment
avant sa sortie de l'hôpital psychiatrique, en 1946 ; cependant, son parcours
est très différent du leur. Mobilisé en 1914, interné d'office en 1917 et
titulaire d'une pension d'invalidité pour troubles psychiques, il a vécu trente
années sans discontinuer dans l'asile d'aliénés du Mans. Au sein de la 4e
région militaire, les asiles d'Alençon et de Mayenne, pourtant éloignés eux
aussi du front, sont confrontés au même phénomène. Entre 1945 et 1948, Émile C,
Louis B. et Fernand M. achèvent un séjour de plus de trente ans à l'asile de la
Mayenne.
Dans les foyers de ces soldats, la Grande Guerre est la source d'une
catastrophe familiale progressivement déniée par la société, qui reste marquée
par le souvenir de l'hécatombe. En effet, les années passant, l'État, après
avoir reconnu officiellement en 1919 l'existence de tels troubles mentaux dans
le cadre de la nouvelle loi sur les pensions, paraît en refouler le souvenir.
C'est ce qu'illustre le cas du soldat Victor P., décédé à l'asile d'Alençon en
1941. «Classe 1896» rappelée sous les drapeaux en 1914, l'homme est interné
sans discontinuer depuis 1915. S'il a visiblement peu combattu, l'État et les
médecins considèrent cependant que, ses idées délirantes s'étant aggravées avec
le service, le droit à une compensation financière pouvait lui être accordé.
S'il est, dans un premier temps, pensionné à 100 % à «titre définitif», selon
les termes administratifs en vigueur, sa situation sociale se dégrade année
après année. La partie supérieure de la couverture de son dossier, envahie de
mentions biffées, porte les stigmates de ce déclin : «pensionnaire de 3e classe»
en 1920 - c'est-à-dire plutôt privilégié dans son régime alimentaire et
domestique -, Victor P. n'est plus considéré que comme «indigent» après 1936,
ce qui signale un recul réel de sa condition dans l'asile.