Auteur: Verena Hanf
Titre Original: Tango Tranquille
Date de Parution : 5 Septembre 2013
Éditeur : Le Castor Astral
Nombre de pages : 167
Prix : 13,00€ 12,35€
Quatrième de couverture : Violette et Enrique n'ont pas grand-chose en
commun. Tout les sépare : l'âge, le statut social, la culture, la couleur de la
peau... Tout, sauf une grande solitude. Violette, une femme d'une soixantaine
d'années, l'a choisie elle-même en coupant tout contact avec ses proches et ses
connaissances. Enrique, un jeune Bolivien sans papiers, y est contraint par son
exil en Belgique et sa pauvreté. Lorsque leurs chemins se croisent, un besoin
de soutien réciproque va les rapprocher et les sortir de leur isolement. Pour
Violette, femme très indépendante mais blessée qui, depuis plusieurs années, ne
parle plus qu'avec elle-même (et sans le moindre ménagement), c'est la porte
des sentiments qui s'ouvre à nouveau. Et celle de son passé, qu'elle avait
banni avec force.
Pas de sentimentalisme dans ce roman où se déploient une grande
lucidité, un refus des idées préconçues et de l'apitoiement facile. Pourtant,
c'est de sentiments dont il est question dans cette rencontre entre une
bourgeoise belge vieillissante et un jeune sans-papiers bolivien. Rigide,
fermée, Violette n'est pas quelqu'un qui suscite une sympathie immédiate mais
elle force notre admiration puis notre affection par son désir d'être juste et
par la lutte qu'elle mène avec courage contre elle-même, ses peurs, ses
principes. Enrique, quant à lui, va l'aider à révéler la part généreuse et
tendre qui sommeille en elle.
Extrait
Violette
N'avez-vous jamais pensé à tout laisser, délaisser, lâcher ? Vous
libérer de toutes ces relations humaines lourdes d'un passé commun, chargées
d'histoires remâchées, accommodées, rafistolées ? Couper les liens sociaux trop
serrés, abandonner leurs noeuds, fuir un présent pesant ? Partir pour vivre
seul, autre part, en inconnu ? Choisir votre rythme, seul maître de votre
temps, seule conteuse de vos histoires ? Avouez-le, vous en rêvez aussi, de
temps en temps, dans vos moments de lassitude en profondeur de puits, de grande
fatigue de bruits. Juste partir, claquer les portes ou les fermer en douceur.
Respirer, revivre-libre et autonome. Mais l'île déserte n'existe pas. Le passé
vous rattrapera, il renouera avec le futur. Peut-être souriez-vous : vous le
saviez. Moi, je ne le savais pas.
25 décembre. Je suis assise dans mon fauteuil. Il est délabré. Son
velours, d'un vert fané. Mais ses pieds de bois soutiennent mon poids, son
coussin allège ma lourdeur d'hiver. Je regarde par la fenêtre, j'observe la
tombée de la nuit, je la rythme par de petites gorgées de porto. La pendule est
fidèle, plic-ploc. De temps à autre, le moteur d'une voiture l'écrase. Puis elle
se relève. Plic-ploc. Plic-ploc. Le porto la seconde. Mes yeux sont lourds, mon
menton se baisse. Plic-ploc.
Des éclairs de bruit brisent la pénombre, polluent la douceur du soir.
Je me redresse, regarde le téléphone, son gris de souris, sa forme sans rondeurs.
Il tremble. Ou c'est moi ? J'hésite à décrocher. Je n'ai pas envie de parler,
de réagir à qui que ce soit. Mais la sonnerie est butée. Elle me tétanise. Qui
essaie de me joindre juste le jour de Noël ? Le choix est restreint :
Micheline, Lucienne, ou peut-être Jean ? Non, Jean, certainement pas. Jean, oh
non, il n'appelle plus. La sonnerie se tait deux minutes mais, dès que je me
détends, elle reprend sa nuisance acoustique. Têtue, persistante, elle
s'enfonce dans mes oreilles. Je n'ose pas débrancher l'appareil. Deux minutes
de calme, puis ça recommence, je n'ai plus la force de résister, j'attrape
l'écouteur.
«Oui ?» J'aurais préféré dire non.
«Violette !» Lucienne a sa voix de maîtresse de classe. Devant une
classe de petits sots. «Pourquoi tu ne décroches pas ?» Je regrette de l'avoir
fait. «Joyeux Noël, Lucienne.» Ma voix a cent ans. «À toi aussi, ma chérie. Je
me suis inquiétée ! Tu ne décrochais pas ! Et puis toi seule dans cette maison
! Comment vas-tu ?» Elle ne me fatigue même plus, cette condescendance, cette
pitié entre les mots, gratuite, en solde, en toc, à deux balles. Elle me donne
juste la migraine. «Très bien, et toi ?» J'essaie le registre joyeux, je ne
veux pas donner à Lucienne une raison de me plaindre. Mais elle est imbattable en
détection de fentes et de blessures, de plaies et de cicatrices. Plaindre est
son passe-temps favori. «Ah, Micheline est donc venue aujourd'hui ?» «Elle
viendra peut-être la semaine prochaine.» Ma voix n'est plus si gaie.