«Elle est venue frapper à ma porte vers trois heures
du matin.
— Salut, je m’appelle Géraldine, on ne se connaît pas
mais je suis la fille des voisins. J’ai perdu mes clés et je n’ose pas rentrer
chez moi de peur de réveiller mon beau-père qui est insomniaque.
N’écoutant que mon grand cœur, j’ai abandonné mon
Spirou et lui ai généreusement proposé de l’héberger.»
Intitulé «Les harengs de Ploucamor», ce premier roman
de François Troudic s'inscrit dans la longue lignée des oeuvres devenus cultes
avant même leur entrée dans l'inconscient populaire, et qui posent les
questions essentielles de l'apophtegme oiseux. FT nous offre ici un véritable
plaidoyer en 44 pages où la pensée et l’expression des affects sont irréductibles
à leur expression langagière, appliquant ainsi les préceptes d'Ossip-Lourié
dans son ouvrage «Le langage et la verbomanie : essai de psychologie morbide,
F. Alcan, Paris, 1912». Le propos abordé ici tient donc dans cette tension
entre l'expérience que l'on peut faire du langage vide et l'impossibilité
logique apparente de celui-ci. L'étude de ce paradoxe doit nous permettre de
montrer à quelles conditions et en quel sens il est parfois possible d'utiliser
un langage sans pour autant transmettre un contenu informatif. D'ailleurs,
Télérama ne s'y trompe pas, qui déclare : «F. Troudic démontre la maîtrise des
concepts contradictoires, qui ne correspondent de ce fait à aucune chose
concrète, au “nihil negativum” kantien, une application par le romancier de
l'amphibolie des concepts de la réflexion, qui propose une analyse du concept
de rien et définit le “nihil negativum” comme un objet vide sans concept. Le
rien peut donc s'entendre en plusieurs sens, et le langage ne parvient pas
toujours à en rendre compte.» Mais c'est à Troudic lui-même, auteur à la
renommée désormais assurée dans la partie septentrionale des Côtes d'Armor, que
revient le mot de la fin lorsqu'il s'exclame «Y’a pas à dire, le génie humain,
c’est quand même quelque chose.» Comme le disait Boris Vian, «Faut que ça
saigne.» En voilà bien une démonstration magistrale, dans un livre à lire Dard
Dard.
YodaF.