Auteur: Milena Michiko
Flasar
Titre Original: La cravate
Date de Parution : 29 août 2013
Éditeur : Éditions de l’Olivier
Prix : 18,50€ 17,58€
Quatrième de couverture : Taguchi Hiro refuse de sortir de sa chambre, de
se mêler aux autres, y compris aux siens. Il a 20 ans, il est ce qu’on appelle
au Japon un hikikomori. Telle est sa situation lorsqu’il aperçoit, dans le parc
en face de chez lui, un homme qui semble passer ses journées assis sur un banc
: il porte un costume, une mallette, et surtout une belle cravate. Cet employé
modèle s’appelle Ohara Tetsu, il a perdu son emploi, mais ne veut pas l’avouer
à son entourage.
Taguchi Hiro et Ohara Tetsu finissent par se rencontrer, ils parlent,
parlent indéfiniment. Leurs récits se croisent et s’entremêlent : la
disparition d’un ami poète fauché par une voiture, le suicide d’une camarade de
classe, la vie de famille, la vie scolaire qui n’existe plus, la vie
professionnelle brisée nette, le vide après la mort d’un enfant et l’amour
d’une épouse.
La Cravate est un roman consacré à la pression sociale, celle qui fait
éclater les esprits et les êtres. Mais sans militantisme, sans colère. Juste un
roman sombre et léger, une succession de miniatures à l’écriture étincelante.
Extrait
Était-ce son soupir? Ou la manière dont il faisait tomber la cendre,
d’une pichenette? Absent, absent à lui-même. Je n’avais pas peur de le
regarder, tel qu’il était assis en face de moi.
Je le regardais comme un objet familier, une brosse à dents, un gant de
toilette, un morceau de savon que l’on voit tout à coup comme pour la première
fois, totalement détaché de son utilisation habituelle. Il est possible que ce
soit ce côté familier qui m’ait inspiré un intérêt particulier. Cette
silhouette bien repassée était celle de mille autres employés qui, bon an, mal an,
remplissent les rues. Ils s’écoulent du ventre de la ville et disparaissent
dans de hauts bâtiments dont les fenêtres offrent un ciel fracturé en morceaux.
Ils forment la moyenne, typiques par leur capacité à ne pas se faire remarquer,
des visages rasés de banlieue, semblables à s’y méprendre. Lui, par exemple, aurait
pu être mon père. N’importe quel père. Et pourtant il était ici. Comme moi.
Il soupira une fois de plus. Plus doucement cette fois. Quand on soupire
ainsi, me dis-je, ce n’est pas seulement de la fatigue. Je le sentis plus que
je ne le pensais. Je sentis, voilà un homme fatigué de la vie. Sa cravate lui
nouait la gorge. Il la desserra, regarda de nouveau sa montre. Il allait être midi.
Il déballa son bento. Du riz avec du saumon et des légumes marinés.
Il mangea lentement, mâcha dix fois chaque bouchée. Il avait le temps.
Il avala le thé glacé à petites gorgées. À ce moment là aussi, je le regardai
faire. Presque déjà sans étonnement sur moi-même. Car à l’époque je supportais
à peine de regarder quelqu’un manger et boire. Mais lui se livrait à ces
activités avec tant de précautions que j’en oubliai ma nausée. Ou bien, comment
décrire cela : il le faisait dans la plus complète conscience de ce qu’il
faisait, et cela transformait des gestes aussi quotidiens en actes
significatifs. Il ingérait chaque grain de riz, il s’en faisait une sorte
d’offrande, un sourire reconnaissant aux lèvres.