Moi enfant-loup, Ingeborg Jacobs


Auteur: Ingeborg Jacobs
Titre Original: moi, enfant-loup
Date de Parution : 12 avril 2013
Éditeur : Fleuve Noir
Nombre de pages : 288
Prix : 18,50€ 17,58€

Quatrième de couverture : À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Soviétiques envahissent les territoires est-allemands. C'est dans cette période de chaos que la petite Liesabeth, 7 ans, perd sa mère et sa soeur et se retrouve livrée à elle-même. Fuyant l'armée Rouge, elle échoue en Lituanie avec d'autres enfants. Vagabonds mendiant un peu de nourriture et de chaleur humaine, parfois voleurs, ils dorment dans les granges en échange de menus travaux : on les appelle « enfants-loups ». Auprès de ces familles qui l'accueillent ou la repoussent, Liesabeth apprend une nouvelle langue et finit par être rebaptisée Maria pour effacer ses origines...

De son enfance tourmentée à son passage dans un goulag en Sibérie, Maria survivra aux humiliations et à l'injustice grâce à une formidable volonté de vivre et à la solidarité de ses compagnons de galère.

Une vie hors normes, un pan de l'historie méconnu.

Extrait
1945. Derniers mois en Prusse-Orientale

Klein-Weissensee

Lorsque je suis arrivée à Klein-Weissensee avec mon frère et ma soeur, l'été n'avait pas encore commencé. Nous avions trouvé une chambre dans l'une des maisons d'ouvriers agricoles, restée vide. Le mobilier se résumait à un poêle et à une table. Les Russes avaient depuis belle lurette envoyé en Union soviétique tous les objets de valeur encore utiles. Les chemins de fer russes rejoignaient déjà Königsberg, les trains passaient non loin de Wehlau et de Weissensee.
Christel et Manfred ont trouvé du travail dans le kolkhoze militaire installé sur la propriété. Les soldats russes ignoraient tout de l'agriculture et avaient envoyé toutes les semailles en Union soviétique, de sorte que les jardins et les champs n'avaient pu être cultivés au printemps. Les produits alimentaires étaient rares, à la fin de la guerre, et nous, les Allemands, avions particulièrement faim. Enfants et adultes mouraient d'épuisement, de famine et du typhus. Notre mère était morte de faim à Dantzig. Nous n'étions pas parvenus à gagner l'ouest. Nous ignorions où se trouvait notre père, qui travaillait comme infirmier, ni même s'il était encore en vie. Nous l'avions vu pour la dernière fois en 1944, à Noël.
Mon frère, ma soeur et moi-même ramassions des feuilles de tilleul, des orties et des arroches pour nous nourrir. Un jour, quelqu'un nous a conseillé de construire un piège à moineaux. Nous avons attaché quatre ficelles à une planche, de façon à pouvoir la maintenir à l'horizontale. Une autre corde permettait de suspendre la planche à une grosse branche. Nous devions hisser la planche et la laisser retomber à terre dès qu'un moineau se plaçait dessous. La plupart du temps, les moineaux étaient plus rapides que nous. Une fois, nous avons attiré un chat errant dans notre chambre. Nous avons commencé par jouer avec lui, avant de lui passer une grosse corde autour du cou. Lorsque le chat a voulu partir, j'ai tiré sur le noeud coulant. Nous avons pu manger à notre faim deux jours de suite.
Les Russes nous disaient toujours : «Qui ne travaille pas ne mange pas.» Nous, les enfants Otto, l'avons appris à nos dépens. Christel et Manfred, alors âgés de treize et onze ans, travaillaient dans les champs et étaient rémunérés en nature. Quant à moi, trop jeune pour travailler, je n'avais droit à rien.

Si peu de temps après la fin de la guerre, il n'y avait pas encore de civils soviétiques dans la région, on commençait seulement à leur vanter les avantages d'une installation sur ce territoire nouvellement conquis. La main-d'oeuvre faisait donc cruellement défaut. Tous, femmes, vieillards et adolescents, devaient travailler pour l'armée russe. Mon frère et ma soeur m'avaient attribué diverses tâches. Je devais ramasser du bois et l'entasser à côté du poêle, lorsqu'il faisait froid. J'allais également chercher de l'eau au puits, et j'en remplissais tous les récipients et les seaux avant le retour de Christel et Manfred. Mais ma tâche la plus importante consistait à chercher de la nourriture.