Auteur: Ramita Navai
Titre Original: Vivre et mentir à Téhéran
Date de Parution : 18 février 2015
ISBN: 978-2234078086
Nombre de pages : 360
Prix : 21,50 €
Quatrième de couverture : « Quiconque
veut vivre à Téhéran est obligé de mentir. La morale n’entre pas en ligne de
compte : mentir à Téhéran est une question de survie. »
Ramita Navai explore les secrets de la ville à travers
la double vie de ses habitants. Sur l’avenue Vali Asr, on rencontre Dariush, un
terroriste repenti ; Farideh, une femme divorcée ; Bijan, un trafiquant d’armes
; Leyla, une actrice porno ou encore Somayeh, une jeune fille amoureuse d’un
play-boy. Des individus ordinaires, forcés de mener des existences
extraordinaires sous un des régimes les plus répressifs au monde. Dans la
tradition du meilleur journalisme littéraire, Ramita Navai compose le portrait intime
et saisissant d’un Iran tiraillé entre tradition et modernité.
Extrait
Extrait du prologue
Avenue Vali Asr
Vue du ciel, la ville de Téhéran est nappée d'une
lueur irréelle. Une brume orangée plane au-dessus de la capitale et réfléchit
les rayons du soleil : un brouillard épais, pénible, qui s'accroche dans les
moindres recoins, brûle le nez et picote les yeux. Les rues sont envahies de
voitures crachant des nuages noirs qui s'élèvent pesamment et stagnent
au-dessus des têtes, et ces fumées s'amoncellent jusqu'au sommet des monts
Alborz, couleur caramel, au nord. Partout, des grappes de hauts immeubles
surplombent la ville, tels des imams dominant une assemblée prostrée. A leurs
pieds, une marée humaine emplit la vallée. Le moindre centimètre carré est
occupé, sans que l'on puisse discerner un style, une logique ou une raison.
D'anciens quartiers sont taillés dans le vif et grignotés par des entrelacs de
bifurcations, et d'ignobles bâtiments postmodernes se dressent au mépris des
anciennes demeures.
Au centre, plongeant au coeur de ce chaos et scindant
Téhéran en deux, s'étend une immense avenue bordée de part et d'autre de hauts
sycomores : l'avenue Vali Asr, qui descend du nord au sud, pompant la vie pour
la recracher dans les recoins les plus reculés de la ville. Vali Asr est
l'artère qui personnifie Téhéran aux yeux de ses habitants. Depuis des
décennies, c'est là que les Iraniens se rassemblent pour fêter un événement,
manifester, protester, marquer une commémoration, pleurer une mort. Parcourir
l'avenue en voiture est un de mes souvenirs d'enfance les plus vifs ; je me
souviens que j'avais l'impression d'être protégée par ces arbres qui
s'inclinaient tendrement les uns vers les autres, formant une large voûte
verdoyante qui semblait nous abriter.
Le long des vieilles racines protéiformes des arbres,
émergeant en méandres des fissures du béton, de profondes rigoles appelées jubs
canalisent l'eau glaciale qui dévale des montagnes. Plus elle s'écoule vers le
sud, plus elle devient trouble et noire. A mi-chemin de Vali Asr, nous sommes
au coeur de la ville, concentration urbaine grouillante, impressionnante, où se
croisent des milliers de motos, de voitures et de piétons vrombissant à l'envi.
Étouffant entre les blocs d'immeubles, on peut découvrir les vestiges
d'anciennes villas à l'agonie s'accrochant désespérément à la vie. Au sud, les bâtiments
se font plus modestes et plus décrépits : maisons de ciment brut et de briques
en ruine, aux vitres brisées et surmontées de cabanes en tôle ondulée. Des
conduites de gaz rouillées et des appareils de climatisation pendent sur les
murs, tels des boyaux de métal à découvert. Les couleurs de la rue se noient
dans la pénombre de la misère et du repli conservateur. Les tchadors noirs se
fondent en silence avec les costumes et les foulards sombres : ce sont les
couleurs du deuil, frappées du sceau islamique de rigueur, que seules viennent
briser les fresques murales bigarrées affichant le portrait de héros guerriers
et de martyrs religieux, et relayant la propagande politique. A l'extrême sud,
l'avenue Vali Asr ouvre sa gueule pour devenir la place Rah Ahan, la principale
gare ferroviaire de la capitale où débarquent des voyageurs des quatre coins de
l'Iran : Lors, Kurdes, Azéris, Turcs, Tadjiks, Arabes, Baloutches, Bakhtiaris,
Qashqa'is et Afghans.