Avant que je me consume, Gaute Heivoll

Auteur: Gaute Heivoll
Titre Original: Avant que je me consume
Date de Parution : 8 janvier 2014
Éditeur : JC Lattès
Nombre de pages : 375
Prix : 22,00€ 20,90€

Quatrième de couverture : Dimanche 4 juin 1978. Un nouvel incendie se déclare dans un petit village non loin de Kristiansand. Voilà un mois qu'un pyromane sévit, et la panique monte encore d'un cran. Il faut trouver de toute urgence le coupable, mais les enquêteurs disposent de très peu de pistes. Pourtant, le lendemain, après la pire nuit, tout est terminé.
Ce dimanche-là, un enfant doit être baptisé. Il s'appelle Gaute Heivoll. Avec cette anecdote en guise de point de départ, l'auteur reconstruit la trame de la tragédie qui a jalonné le printemps 1978. Qui était le coupable ? Pourquoi cet homme a-t-il allumé des feux dans le village ? Et qu'en est-il de ce garçon baptisé le même jour, qui a grandi avec le souvenir de ces incendies ? Qu'est-il devenu ?

Extrait
Quelques minutes avant minuit, le lundi 5 juin 1978, Johanna Vatneli éteignit la lampe de la cuisine et, tout doucement, referma la porte. Après quatre pas dans le couloir frais, elle entrebâilla la porte de la petite chambre si bien qu'un rai de lumière tomba sur la couverture en laine grise qu'ils utilisaient même en été. Dans l'obscurité, Olav dormait. Immobile sur le seuil, elle écouta pendant quelques secondes la respiration lourde de son mari avant de rejoindre le cabinet de toilette. Elle ouvrit le robinet, laissa l'eau couler en silence comme à l'accoutumée. Courbée au-dessus du lavabo, elle se nettoya longuement le visage. Il faisait froid dans la pièce. Sur la lirette, elle sentait le plancher dur contre ses pieds nus. Furtivement d'abord, elle se regarda dans les yeux, ce dont elle n'avait pas l'habitude. Puis elle se pencha en avant pour, un long moment cette fois, observer ses pupilles noires. Elle arrangea ses cheveux, but un verre d'eau glacée. Enfin, elle changea de culotte. Celle qu'elle portait était tachée de sang. Elle la plia et la mit à tremper dans une bassine. Lorsqu'elle enfila sa chemise de nuit, la douleur se manifesta à nouveau : cette sensation de piqûre qui lui irradiait le ventre en permanence mais dont l'intensité avait empiré ces derniers temps, surtout si elle s'étirait ou soulevait quelque chose de lourd ; un couteau, par exemple.
Avant d'éteindre, elle enleva ses dents. Un léger cloc résonna au moment où elle les plongea dans le verre, sur l'étagère du miroir, à côté de celles d'Olav.
Elle entendit alors une voiture.
Bien que le séjour soit plongé dans le noir, les fenêtres brillaient d'un éclat étrange, opaque et luisant, comme si elles étaient éclairées par une faible source lumineuse dans le jardin. Johanna s'approcha calmement pour jeter un oeil dehors. En plus de la lune qui s'était hissée au-dessus de la cime des arbres, au sud, elle voyait le cerisier toujours en fleur; et, si ce n'avait été le brouillard, elle aurait même pu apercevoir le lac de Livannet, à l'ouest. Une voiture passa tous phares éteints devant la maison. Noire, ou rouge, impossible d'en déterminer la couleur en pleine nuit. Elle roulait au pas, bringuebalant sur la route qui menait à Maesel. Elle finit par tourner dans le virage et disparut. Johanna attendit devant la fenêtre une ou deux minutes supplémentaires, peut-être trois. Après quoi elle retourna à la chambre.
- Olav, chuchota-t-elle. Olav.
Pas de réponse. Il dormait d'un sommeil profond, comme à son habitude. Regagnant le séjour à la hâte, elle se cogna par mégarde dans l'accoudoir du fauteuil. Le coup lui vrilla la cuisse. De retour à la fenêtre, elle eut le temps de reconnaître la voiture foncée qui rebroussait chemin. Elle surgit du virage et, toujours à petite vitesse, repassa sous ses yeux, juste devant elle. La personne avait dû reculer devant chez les Knutsen. Mais Johanna se rappela qu'il n'y avait plus personne là-bas : ils étaient rentrés en ville la veille au soir, elle les avait vus partir. Elle entendit le crissement des pneus, le ronronnement sourd du moteur, l'écho d'une radio. Puis la voiture s'immobilisa, une portière s'ouvrit, le silence se fit. Johanna sentit son coeur bondir dans sa poitrine. Elle fonça dans la chambre, alluma la lumière et secoua son mari. Cette fois, il se réveilla. Mais il n'était même pas levé qu'une explosion suivie d'un bris de verre retentit dans la cuisine. Sitôt dans le couloir, elle sentit des relents pénétrants d'essence. Lorsqu'elle ouvrit la porte de la cuisine, elle fut accueillie par un mur de flammes. Le feu s'était forcément déclenché en quelques secondes. La pièce flambait dans son entier. Le plancher, les murs, le plafond : les flammes léchaient les surfaces et geignaient comme un animal malade. Johanna se figea sur le seuil, paralysée. Au creux de ce gémissement, elle reconnut - quand bien même elle ne l'avait jamais entendu - le bruit des verres qui éclatent. Elle demeura inerte jusqu'à ce que la chaleur soit trop intense. Elle avait l'impression que son visage se désolidarisait de la tête, qu'une force tirait dessus, le contraignait au bas du front puis sur les yeux, le nez, la bouche.