Le vignoble du diable, Philippe Bouin

Auteur: Philippe Bouin
Titre Original: Le vignoble du diable
Date de Parution : 3 octobre 2013
Éditeur : Presses de la Cité
Nombre de pages : 314
Prix : 20,50€ 19,48€

Quatrième de couverture : Stupeur et dégrisement à Saint-Vincent-des-Vignes, village niché au coeur du Beaujolais. On a découvert le cadavre d'un homme égorgé au sommet du mont Brouilly avec autour de lui des objets de rituel satanique fichés en terre. Le maire, car il s'agit de lui, Joseph Marzot, ne fêtera donc pas le premier jus tiré des cuves. Non loin, dans le superbe manoir de l'Ardières, Archibald Sirauton - le bien nommé -, ancien juge d'instruction, aujourd'hui premier adjoint au maire et viticulteur heureux, décide de mener une enquête parallèle à celle de la police... en compagnie de joyeux drilles. D'autant que nombre de rumeurs et racontars pimentent l'affaire, car, comme disent les Vincenvignoblois : «La malédiction était sur lui. Joseph n'aurait pas dû acheter le Vignoble du Diable...»

Extrait
Exigences

On dit que Lyon est arrosé par trois fleuves : le Rhône, la Saône et le beaujolais.
S'il est vrai que la Saône n'est qu'une rivière, le beaujolais n'est pas qu'un vin. Avec un B majuscule, c'est un pays où l'on sait s'amuser. Surtout après les vendanges qu'il convient d'honorer.
Ce qui allait être le cas le premier dimanche d'octobre. Les raisins étaient cueillis, le décuvage s'achevait, le pressurage commençait. Comme chaque année, ce démarrage d'un nouveau cru méritait une fête. Une fête d'enfer. Et pour cet enfer, à Odenas, au creux des coteaux de Brouilly, on fêterait le paradis - le premier jus tiré des cuves, un vin doux et sucré que l'on dégusterait en le décrétant bon, bien qu'il s'acharne à copier le goût de la limonade. Sirupeux, pétillant, un bébé pourrait en boire sans rouler sous son berceau. Il ne ferait que babiller en esquimau.
La tradition a des exigences que l'oenologie ne connaît pas.
Mais aussi des adversaires qui n'y voient que blasphème...
Au chant du coq, en cette veille de revole, de chopinaison, de gognandises, autrement dit de ripailles, de verres vidés et de blagues innocentes, précisément un samedi si l'on en croit le calendrier, deux vieilles toupies escaladaient le mont Brouilly.
La curiosité du mont Brouilly se résume à sa hauteur. On ignore combien il mesure exactement. D'un avis divergent, les guides l'évaluent à 484 ou 485 mètres. Aussi, par les temps qui courent, le consensus prévalant, les deux revêches gravissaient ses 484,5 mètres.
Pas à pied vu leur âge, mais en voiture, si tant est que la relique que conduisait la plus jeune - estampillée 73 ans - méritât cette appellation. Un tas de tôle cacochyme. Une antiquité reconvertie en chapelle. Que d'images pieuses dans l'habitacle ! Que de breloques à bon Dieu, de médailles à l'effigie de saints, au premier rang desquels saint Christophe, protecteur des chauffeurs contre les constats amiables, le tout enveloppé de ce qui, sous Jean-Paul II, avait été une R11 !
La ressemblance des voyageuses n'était pas fortuite, elles portaient le même patronyme : Berthe et Simone Lulute. Élevées dans la peur de bouillir dans un chaudron, les deux soeurs étaient toujours jeunes filles. N'était-ce qu'à l'évoquer, le péché de chair les terrifiait. En témoignait leur vision du mariage. Aux prétendants qui avaient demandé leur main, elles avaient posé une condition à leurs rapports bibliques : respecter le commandement de saint Augustin, à savoir ne s'accoupler que dans le but de procréer, sans passion, sans plaisir, sans caresses. Un tel contrat avait fait fuir tous les gars du canton. Mais pour les demoiselles, leur débandade était un signe envoyé par les anges. Il préservait leur âme de la fornication. Le sexe a des exigences que l'éternité ne connaît pas.